Extrait du journal

On parlait l'autre soir après dîner, chez Mme R., de la précocité sentimentale de certains enfants, et en particulier de celle des petites filles. L'extraordinaire chagrin ressenti par la fillette de Mme R., à la nouvelle du mariage d'un ami de la maison, avait mis la conversation sur ce chapitre délicat, et plusieurs personnes citèrent des cas où de tout jeunes enfants avaient révélé de curieuses nervosités du cœur,- d'inconscientes mais, certaines manifestations de l'amour-passion. Un des convives attribua cette précocité à l'éducation de la femme en France, à son hérédité sentimentale et religieuse. Aucune religion n'a eu plus d'action sur la femme, disait-il, que le catholicisme, avec ses cérémonies vibrantes, ses appels à un mysticisme un peu théâtral, les mystérieuses et émotionnantes discrétions, de son confessionnal ; et aucune n'a contribué davantage à développer en elle parallèlement.le romanesque du sentiment et le raffinement de la sensualité. La petite fille, ajoutait-il, naît avec l'instinct de l'amour : elle aime, et elle souffre de bonne heure, parfaitement inconsciente d'ailleurs de ce qu'elle ressent, émue seulement par les agitations de son petit cœur et délicieusement inquiète du trouble de ses sens, à fleur de peau. Et remarquez à quel point elle est déjà femme, femme par la pensée, par l'attitude, par l'expression de sa physionomie, par on ne sait quelle devination du rôle qu'elle est appelée à jouer dans la vie....