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La Libre Parole, 5 octobre 1895

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La Libre Parole
5 octobre 1895


Extrait du journal

Tout le monde soldat. Tel était le cri que j’entendais jadis quand j’étais soldat, non par force, mais passionné. Fils aîné de veuve, je pouvais, comme tant d’autres, me camper derrière un pot de tisane ; j’ai été soldat. J’ai deux fils : le premier vient de finir son service, l’autre prendra place l’année prochaine dans les rangs de l’infanterie, comme son frère. C’est la loi. Il faut que chacun de nos enfants passe par l’école du régiment. Demain ou après, si la Patrie est eu danger, nous serons tous appelés, et tous nous devrons courir à la défense de la frontière, de ce pays aimé que viennent de fouler nos chers soldats pendant ces relies manœuvres dont j’ai parlé ici meme. Tous soldats, c’est la loi. J’ai dit ici qu’elle devrait être égale pour tous, et que riches comme pauvres, tous devraient être égaux devant le rude impôt du sang. Mais voilà qu’à mon tour je me vois obligé de parler d’un soldat du train, du jeune Max Lebaudy, aussi vigoureux que vous et moi, proposé pour la réforme. j’ai dit plus haut que j’ai été soldat; j’ai vu, j’ai connu des carottiers, des ti reurs au tlanc. J’ignore si Max Lebaudy est estropié — j’en doute — je sais que, depuis des mois, il va de conseils en conseils pour être ré formé, et que jusqu’à ce jour, aucun d’eux n’a voulu prononcer la réforme. Aujourd’hui, demain ou dans un mois, il se présentera de nouveau, espérant enfin être réformé, car il ne veut et ne demande que cela. En cas de réforme — et pour tout sol dat il n’y a que ce cas à prononcer et non, comme on le dit quelquefois, être placé dans un service auxiliaire — vienne la guerre, Max Lebaudy, l’archi-millionnaire, le propriétaire richissime, croira avoir assez payé en acquittant les impôts, pour ne plus être tenu de prendre le flingot. Vos enfants, les miens, nous tous mar cherons à la rencontre de l’ennemi, et nous verrons ce scandale inouï d’un archi-millionnaire, jeune, vigoureux, se prélasser et rire de tous ceux qui n’ont pour toute fortune que la haine du Prus sien. Voilà un soldat qui a usé avant l’âge de tous les plaisirs de la vie, qui demande à être réformé, non pas seulement pour ne plus être à la caserne, mais pour ne plus présenter sa poitrine à l’ennemi.... 11 se vante, tout le monde le dit, d’arri ver à gagner ses juges. Il peut se vanter; jamais, je l’espère, aucun conseil de réforme ne consentira à s’abaisser à ce point devant ce représen tant de millionnaires qui n’ont jamais montré des poitrines de Français à l’en nemi. Tout le monde soldat, pour lui comme pour les autres, fils de riches ou de pau vres, et si nous n’avons pas le service égal pour tous, que la justice soit la même pour tous les soldats. Si j’étais du conseille ne lui dirais qu’un mot : « Rompez ! »...

À propos

Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».

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