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La Libre Parole, 15 septembre 1897

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La Libre Parole
15 septembre 1897


Extrait du journal

•suspendus, comme autant de tapis de toutes les couleurs et de toutes les formes, des terres cultivées, des prai ries verdoyantes, des sillons labourés brun foncé, des champs d’avoine d’un jaune clair. L’écho vous renvoie distiiv’Lemcnt, des distances les plus éloi gnées, l'appel sonore d’un laboureur, le rire d’un gamin qui garde les va ches, l’aboiement d’un chien, le bêle ment d’un mouton, le cocorico do quelque coq. Que d’êtres humains vivent dans ce vaste espace qui n’est qu’un fragment imperceptible de la France I Que d’existences laborieuses représentées par ces petites fumées do chaumière qui montent lentement vers l’horizon I Ainsi l’on songe, et l’homme qui disparaît devant l’immensité de l’O céan, l’homme qui, selon l’expression de ce philanthrope méconnu que fut Robespierre, « est le plus grand objet qui soit dans la nature », a ici sa place importante dans le paysage. Cette étude de l’homme, du paysan, du marin prime à mes yeux, je le con fesse, toute la poésie d’un site. Je ne connais rien d’intéressant comme de regarder de prés ces existences qui ressemblent si peu aux nôtres, de s'identifier avec elles, d’observer cet être qui est notre semblable et qui, par tant de points, diffère de nous. Là encore l’influence du pays luimême est toute puissante. Sur le vi sage de ceux qui vivent de la mer, qui sont soumis à ces éléments auxquels ils servent de jouet, vous lirez une mélancolique résignation. Le paysan sans doute doit, lui aussi, compter avec les forces de la nature ; mais sa part d’initiative, do liberté, d’intelli gence est plus large. La grêle qui tombe sur un champ n’a point la fa talité d’un coup de vent qui tout à coup plonge au fond des abîmes deux ou trois pères de famille dont ou at tend le retour au logis. Aussi, la vie rustique, en ce beau pays où le travail de l’homme suffit à le nourrir, lui et les siens, reste ave nante et presque joviale d’allures. Rien n’est charmant comme ces repas de famille, repas avant la noce, repas de noces ou repas célébrés après la noce et offerts par les garçons d’honneur. (■es dernières frai ries s’appellent ici des jambons. Il y a un jambon à Ici endroit, dit-on, et, à cette annonce, foules les physionomies de jeunes filles s’épanouissent de joie. On danse effectivement « aux jambons », au son d’une vielle dont les gais accords sont ravissants dans leur archaïsme. L’Auvergne, particulièrement, est encore restée fidèle à cotte bourrée que le Forez commence à désappren dre, cl l’on comprend, en voyant l'en train indicible qui emporte ces rondos de danseurs, l’enthousiasme que la bourrée inspirait à Mme de Sévignô, au moment du séjour A Vichy de la char mante épistolière. « Mon seul regret, écrivait la marquise à sa fille, est que vous ne voyiez pas dan ser les bourrées (le ce pays, c’est la plus surprenante chose du monde ; des paysans, des paysannes, une oreille aussi juste que vous, une légèreté, une disposition enfin, j’en suis folle. Je donne tous les soirs un violon avec un tambour do bas que, à très petits frais, et, dans ces prés et ces jolis bocages, c’est une joie que de voir danser les restes des bergers et des bergères du Lignon. » On danse la bourrée; mais avant l’on mange, et ce que l’on mange est inimaginable. Après une soupe aux choux formidable, un plat de bœuf énorme; puis des côtelettes, du gigot, du jambon, des lapins, des légumes, des gâteaux aux cerises, de proportions effrayantes, qu’on nomme ici des cra quelins, des brioches aussi grosses que des tours. Tout cela disparaît et entre, sans qu’on puisse deviner comment, dans des corps qui, au premier abord, vous font l’effet d'être construits comme le vôtre. Après cinq heures de séance, un aïeul, plein de verdeur, qui a bu six bouteilles, mangé de tout et parlé sans cosse, prend sur le café une dernière rincette qui fait presque le vide dans un litre plein, et donne le signal des chants. Un adjoint, qui n’a rien perdu de sa dignité, lui succède et, voltigeant le long de la table, mouillant son aile de temps en temps dans un verre de vin, la chanson s’envole de place en place...

À propos

Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».

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