Extrait du journal
Depuis quinze jours, chaque fois que je m’étonnais du mutisme de l’avocat géné ral, j’entendais dire autour de moi : — M. Van Cassel est un malin qui ne jette pas sa poudre aux moineaux. S’il garde un silence obstiné pendant le défilé des témoins, c’est qu’il se réserve pour son réquisitoire. Hier, je l’ai entendu, ce réquisitoire ! Et, comme je restais stupéfait de sa pâleur et do son inanité, les mêmes per sonnes me murmurèrent â l’oreille : — Quelle suprême habileté ! M. Van Cassel n’a présenté aujourd’hui que des arguments de second ordre. Attendcz-le à la réplique. 11 sera foudroyant. Eh bien ! non, la tactique de l’avocat général n’est pas une tactique habile, c’est une tactique équivoque. 11 avait écrit son discours. Il n’avait donc pas l’excuse de l’orateur dont un mauvais rhume paralyse les moyens. Il a lu son papier d’une voix psalmodiante, sans un geste, sans un éclat. Il aurait voulu endormir le jury, qu’il ne s’y se rait pas pris autrement. C’était de la pluie qui tombait, une pluie ennuyeuse, mo notone et froide, une de ces pluies d’hi ver que ne traverse aucun éclair. Jamais une image, jamais une belle pensée, qui frappe l’esprit et l’illumine. Et cette ab sence d’idées était tellement insolite, qu’on ne pouvait que la supposer voulue. Il est impossible d’atteindre à cette sé cheresse sans parti pris. On aurait cru que, son discours une fois écrit, M. Van Cassel, avant l’au dience, l’avait relu, en biffant toutes les phrases, toutes les épithètes mêmes, de nature à faire quelque impression sur les jurés. Mais une telle abnégation chez un ma gistrat du genre de M. Van Cassel semble si invraisemblable qu’il est permis de se demander si ce n’est pas le général Billot lui-même qui a fait sur le manuscrit de l’avocat général ce travail de révision. Et la supposition n’est peut-être pas aussi fantasque qu’elle en a l’air, car il n’est pas dans les habitudes de M. Van Cassel, assure-t-on, de rédiger ses réqui sitoires avant de les prononcer. Et, en tout cas, elle expliquerait le ton lar moyant, attristé et de mauvaise humeur sur lequel il a prononcé celui d’hier. Quant au fond même du discours, il se ressentait évidemment des coupures qui y avaient été faites. Les transitions manquaient. Les faits s’enchaînaient sans aucune logique. A chaque instant revenaient ces mots : « Et alors, mes sieurs... Et alors, messieurs. » Et le rai sonnement allait va comme je te pousse, sans cohésion et sans clarté. Il y avait des conséquences lumineuses à tirer du rapprochement de quelquesunes des dépositions des témoins. M. Van Cassel n’a pas semblé s’en douter. Il s'est contenté de faire des témoignages un ré sumé très pâle, sans commentaires im portants et en omettant les principaux. Mais cette défection du ministère pu...
À propos
Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».
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