Extrait du journal
défroque d'une girafe. Les hommes, pris à l’improvistc, avaient rectifié la position sur place. Ils demeuraient l’œil sans re gard, les bras tombés le long du corps et les talons sur la même ligne, attendant un ordre de repos qui persistait à ne pas venir. Bourre prit la parole : — Mon lieutenant, le réserviste Potiron sort d'ici à la minute même. — Au diable! s’exclama Mousseret. Et qu'est-il devenu, ce pierrot-là? — 11 est au bureau, mon lieutenant. — Ah ! bon. Tout de suite il tourna bride. Sur son dos, soutachc d'élégantes fusces noires, la porte, ramenée, claqua. En vingt pas, il lut chez le chef, homme de bien qui, pour le quart d’heure, mettait à jour les livrets matricules, imputant des carreaux cassés et des bouchons de fusil perdus au compte des cavaliers partis en permission ou en congé de convalescence. Ayant su de quoi il s’agissait, il s'empressa, fit l'homme du monde, donna la comédie d’une contra riété de bon goût : — Vraiment, mon lieutenant, désolé ! Potiron, vous dites? un boucher? Il sort d’ici. Est-ce bête! Si j’avais pu prévoir... Mousseret l'interrompit ; — Enfin, où est-il? — A l'habillement, mon lieutenant; il est allé se faire équiper. — Merci. L’officier reprit sa course, gagna le ma gasin, dont il franchit le seuil. Le malheur est qu’au même instant Potiron en sortait par la porte opposée. De nouveau il dut se rabattre sur la chambre ; mais Potiron l'avait traversée comme une flèche, le temps de déposer ses hardes sur son lit. Maintenant il était chez le barbier, ainsi que Bourre le donna à entendre; et le fait est qu’il eût été chez le barbier s'il n’eût déjà cessé d'y être lorsque le sous-lieute nant survint pour l'y rejoindre. — Ah ça! fit alors celui-ci, les bras je tés sur la poitrine, est-ce que je vais pas ser ma journée à courir après cette brute ? Ce serait un peu raide, par exemple! Raide ou non, il en fut cependant ainsi, une fatalité inouïe, mais opiniâtre, s’entê tant à amener le soldat sur un certain point de la caserne, tandis que l'officier le cherchait sur un autre. Et le plus joli de l’affaire fut que Potiron manqua à l'appel du soir comme il avait manqué à l'appel de midi. Mon Dieu, oui ; le gaillard, déli cat sur sa bouche et dédaigneux de la ga melle, s’en était tranquillement allé dîner dehors, puis s était attardé chez un mar chand de vin à regarder jouer le Zanzibar. Si bien que Mousseret éclata, son exaspé ration réveillée d’un coup de fouet, quand, passant la visite des chambres et posant celte question bien simple : « Voilà un lit vide ; qui l'occupe > » Bourre, qui proté geait de ses doigts la flamme c >uchce de la chandelle, répondit impassible : — Le réserviste Potiron. — Potiron ! encore Potiron ! toujours Potiron ! cria-t-il. Ce n'est pas possible, à la fin ; ce client-là se paie notre figure à tous Il écumait. Sur ses talons, le sous-officicr de semaine, le billet d'appel à la main, faisait halte sans souffler mot. Il paya pour deux. —C'est comme vous ! Que fichez-vous là à me regarder comme une huître? Vous allez me faire le plaisir de cavaler au corps de garde dire qu'on me coffre Potiron si tôt son retour au quartier? Tout de suite, vous entendez bien ! Illico ! à l’œil ! de pied ferme ! Et il trépignait, virait de bord, lâchait son monocle qu'il rattrapait au vol pour se le revisser aussitôt sous l’orbite. Ses « Ah ! non ! Ah ! non ! Ah ! bien non ! » étaient ceux de Baron dans la Femme à Papa, atterré qu’un misérable boucher put avoir raison à lui seul contre toute la Fa culté de médecine. IV Tout ceci n’empêcha nullement Potiron de réintégrer la chambrée un coup que Mousseret n'y fut plus, il était gai comme un pinson et gris comme une petite caille; charmant, d'ailleurs, ayant passé par la cantine, d’où il rapportait un litre de co gnac et une salade toute préparée dans ur.c bassine en fer-blanc. Il entra et dit : — Y a du bon. Ce fut une stupeur. Hors des lits, des bustes dépoitraillés se dressèrent. — Ah !... Potiron ! Lui, ricanait, jouissait de l’étonnement général, il conta qu'il avait coupé à la pri son en sc portant nouveau malade; après quoi, équitable et parcimonieux, il com mença à répartir la salade : deux pincées qu'il puisait à même la bassine, à la four chette du père Adam, puis déposait au fond des quarts, maintenus entre les ge noux. Le litre de cognac, tendu à bout de bras, circulait de couchette en couchette, et l’agonie d’un bout de chandelle qui s’a chevait d'user sur la table, collé d'une larme de suif, promenait le long des murs des ombres fantastiques. Potiron, le souper terminé, dit qu'il allait faire des tours. Il enleva donc son dolman, apparut pantalonné de rouge jusqu'aux aisselles, avec des bretelles d ordonnance qui pénétraient comme dans du beurre en l épaisseur de son tricot, et se mit en devoir d'escalader la planche à pain. Malheureusement cette tentative ne fut couronnée d aucun succès. Une minute on le vit, les yeux hors de la tête, sc roidir sur les avant-bras, tâchant d amener son menton jusqu'à ses phalanges contractées... Ce fut tout; scs mains, vernies d'huile, glissèrent; il s’effondra bruyamment sur la table, écrasant la chandelle de son dos de colosse. Instantanément, tombée à une nuit pro fonde, la chambre s'emplit de clameurs, de hurlements farouches, de sifflets surai gus : un charivari étourdissant que Poti ron s'efforçait de dominer, répétant qu’il n'y avait pas d'erreur, qu'il cherchait des allumettes et que le rétablissement n’était pas son fort — aveu désormais superflu. Des vociférations se heurtaient : « Enfant de malheur qui éteint la camoufle !... Fan tassin du diable!... La classe ! la classe!... Les souffrantes (les allumettes) au clair, ceux qui en ont ! » En même temps, par le plancher galopaient d'inquiétants pieds nus. Un bleu eut son lit chahuté: on en tendit sa chute brutale et le commence ment de ses protestations, qu'étouffa...
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
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