Extrait du journal
Je l'ai connue il y a longtemps, et sur des rives sauvages, mais le souvenir de ses prunelles me hante encore, aux heures d’obscuritc, quand la paix de la nature allume des phosphorescences dans la mer et l’cclair pâle des vers luisants au mys tère des halliers. Jeune encore et svelte, vêtue d étoffes sombres, elle allait, toujours seule, le long de la côte, lisant parfois, songeant plutôt, et son regard était triste d’une incommen surable et si navrante tristesse que l'Océan tout entier semblait s'y refléter avec ses teintes glauques. Les habitants du petit village où elle demeurait l'avaient sur nommée « la dame en deuil », et moi, dés le premier jour, et parce que ses yeux avaient heurté les miens, je l’appelai « la veuve aux yeux verts », par blague mau vaise, croira-t-on, mais bien plutôt par sympathie étroite et par inquiétude de ces prunelles éternellement fixes, où la pro fondeur des mers flottait parmi des lar mes retenues. Elle ne parlait à personne, et seule une vieille bonne s'occupait de sa maison per due au fond d'une crique, tout au bout du village. On savait seulement qu elle était veuve d'un lieutenant de vaisseau tué dans les mers de Chine, et le respect de tous l'environnait. Aucun désir ne me portait vers elle, malgré sa joliesse blonde, et pourtant le calme de sa vie, l’âpre orgueil de sa solitude finirent par m'attirer vio lemment. J étais conquis sans espoir de conquête. Un courant magnétique vibiait d'elle à moi, et j'eus tout à coup le pres sentiment qu'il germait aussi en elle cet élan l’un vers l'autre, car elle me regarda un jour d’un regard brusque et droit, et me tendit les deux mains comme à un ami. • • • Certes, je l’avais longtemps suivie sur les grèves ; j'entourais scs promenades d’une compagnie discrète dont elle ne pou vait se fâcher, et, sans m’en rendre compte, je m'attendais peut-être à ce mouvement spontané. Il me surprit cependant, et la froide clarté des yeux verts, des yeux verts noyés de pleurs, poigna mon âme d’une an goisse soudaine. Je n'articulai pas une parole. F’our la première fois de ma vie je me sentais do miné. Mon silence était du respect, elle y vit plus clairement un hommage. Elle prononça : — Je vous remercie de ne rien dire, de ne point briser d'une parole cet obscur lien qui m'attache à vous, et vous allez m’ccoutcr sans me répondre, sans que le murmure de votre voix trouble mon rêve, ce rêve né des souvenirs d'un mort et qui ne s’éteindra que dans ma mort. je serrai scs mains fines et délicates dans une promesse tacite ; elle répondit à mon étreinte, mais sc dégagea brusque ment. — Asseyez-vous, dit-elle, en m’indiquant une roche à ses pieds. Nul ne connaît l'abîme de mes songes. C'est un soulage ment pour moi de parler, et je vous crois digue de mes confidences. Je voulus m'écrier... elle me saisit aux épaules d’une étreinte furieuse et supplia, comme on ordonne ; — Ne parlez pas!... Je sais ce que vous pourriez me dire... mais votre silence !... votre silence, par pitié* Son émotion la révélait farouche, et l'émeraude de ses yeux scintillait d’éclairs durs. La buée de larmes s'était fondue dans un rayonnement métallique, une interrogation muette s’y compliquait de férocité. J’inclinai la tête sans répondre et, tout de suite, l’humidité revint à ses pru nelles, sa voix se fit murmure : — C'est mon histoire que je veux vous conter, dit-elle; mon histoire très simple, très courte aussi, hélas ! celle de mon bonheur. Je veux vous la conter, parce que je sens bien que je le dois. Autre chose que de l’intérêt peut se mêler à nos relations futures, et je ne veux pas qu’une douleur vous brise au début de l’exis tence. Vous m’aimeriez peut-être un jour, et j’aime éternellement... outre-mer !... Elle tendit les bras vers le large d’un geste douloureux, puis continua sur un...
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
En savoir plus Données de classification - boucher
- jaurès
- ramel
- guesde
- gruet
- guil
- zola
- corr
- hesnard
- guyot
- france
- la garonne
- garonne
- bordeaux
- landes
- paris
- chine
- charente
- tarn
- cham
- sénat
- la république
- union républicaine
- p. b.
- union postale