Extrait du journal
CHRONIQUE Indulgence pour nos Ténors. Nous venons d’avoir, dans ce mois d’oc tobre, des journées d’automne vraiment bel les. Chaud soleil, ciel bleu, air limpide et bienfaisant : c’est une joie, pour ceux qui ont de grands loisirs, de courir la canqxv gme. Nul n’est insensible au charme pro fond de l’arrière-saison, qui a si souvent inspiré nos poètes, en prose et en vers. C’est le triomphe de l’élégie; c’est le re fuge des âmes tendres et mélancoliques. Pour ceux que leurs occupations retiennent en ville, il y a nos jardins, richement parés de chrysanthèmes, et où la rose chantée par Agrippa d’Aubigne : « Rose d’autom ne, plus qu’une autre exquise, » offre son intime et suave parfum. Mon ami L..., qui sait goûter ces sortes de plaisirs, va souvent se promener au Jardin-Public. Il en aime la gracieuse or donnance, l’harmonieuse variété. Je l’y ren contrai il y a quelques jours. Il tenait à la main un journal. Je remarquai son sour cil froncé, sa lèvre un peu dédaigneuse. « Allons, me dis-je, il n’est pas dans un de ses bons jours, je vais subir un assaut. » Car ce bon ami, qui vous aborde parfois avec la figure épanouie et la main énergi quement tendue, est un contempteur terri ble. Il croit devoir à chaque instant, et à propos de tout, exercer une impitoyable critique. Les pouvoirs publics, les adminis trations, les expositions d’art, les Salons, les théâtres n’ont pas de plus sévère cen seur. Est-ce, chez lui, réellement le désir du mieux, ou bien une attitude qu’il se donne ? Il en est, parmi ceux qui le con naissent, qui pencheraient pour cette der nière opinion. Ils gardent leur avis pour eux, bien entendu. Où serait le privilège d’être « amis », si chacun devait dire à l’autre ses vérités ? Donc, je le répète, L... tenait à la main un journal, et, m’abordant : « Alors, ça va, une fois de plus, recom mencer. Grâce à la faiblesse de la critique bordelaise, grâce à ses complaisances, à sa basse générosité, nous allons avoir une trou pe indigne de Bordeaux, et nos chefs-d’œu vre seront de nouveau interprétés avec une outrageante médiocrité. » Il ne ménage pas les termes, notre ami L..., et la mesure n’est pas toujours son fait. — Mais de quoi parlez-vous, mon cher? De quelle troupe s’agit-il ? — De la troupe du Grand-Théâtre, par bleu ! Vous le devinez bien. — Et qu’est-ce qui vous fait ainsi pes ter cor ' e elle, avant même de l’avoir en tendue? — Comment ! Voici la liste ; il n’y a pas un seul nom connu. A part un ou deux peut-être, rien que des nouveaux n’ayant fait sérieusement leurs preuves nulle part. Quant à moi, je n’en ai jamais ouï parler. Je lui fis oliserver doucement, car il ne faut Jamais irriter ces gens dont il faut plutôt plaindre 1 tournure d’esprit, et qui se gâtent volontairement leurs plaisirs ; je lui fis observer, dis-je, que si la liste qu’il me montrait avait été composée de noms depuis longtemps répandus, si elle avait compris des artistes ayant chanté sur toutes les grandes scènes et en possession de la renommée depuis cféjà plusieurs années, il n’aurait pas manqué de me dire : « Des artistes finis, qui ont traîné par tout; des chanteurs qui n’ont plus de voix, dont personne ne veut plus! » Il n’aime guère à être trop bien com pris ; il faillit se fâcher. — Ta 1 ta! ta! fit-il sèchement ; je vous dis que vous êtes coupables de trop de complaisances. Vos indulgences favorisent les médiocrités, et les artistes de premier plan nous restent inconnus. — De premier plan ! Comme vous y al lez ! En connaissez-vous beaucoup? * * • Un silence se passa, puis, lui tendant un de ces compagnons qui ne me quittent jamais : — Vous connaissez ce livre? — Le Neveu de Rameau! Ah ! oui, je le connais, répondit-il avec éclat. — Oui, il doit vous plaire par l’audace de ses propos. Mais il a deux faces, et je crains que vous n’en voyiez qu’une t la pessimiste, celle qui nargue et je dirais presque : injurie. Tenez, lisons ensemble ce passage : « Moi. — Vous ne faites grâce qu’aux hommes sublimes. » Lui. — Oui, aux échecs, aux dames, en poésie, en éloquence, en musique. A quoi bon la médiocrité dans ces genres? » Moi. — A pou de chose j’en con viens. Mais c’est qu’il faut qu’il y ait un grand nombre d’hommes qui s’y appli quent, pour faire sortir l’homme de génie : il est un dans la multitude. » — Ce qui revient à dire, continuai-je, ou à peu près, que l’homme de génie ne l’est...
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
En savoir plus Données de classification - chéron
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