Extrait du journal
L’Autre Amour (CONTE) Le ciel était si bleu, la terre était si belle; que Jacques faillit en pleurer... Son histoire banale tenait toute dans loi deux vers simples de l’éternelle chanson : Y avait un’fois un pauv’gas Qu’aimait cell’qui ne l’aimait pas... Ç’est en vain qu’il fuyait l’obsession de chère image : il la retrouvait à toute heure, en tout lieu. Ce ciel, d’un azur léger, était limpide et tendre comme son regard; le sable de la sente était du même or fin que ses che veux ; les fleurs neuves des prés appelaient ses mains pâles ; au creux du vallon, le ruis seau jasait et riait comme elle... Dans les parfums de cette aube délicieuse, Jacques res pirait l’odeur fraîche de son corps, et la brisa même avait le goût de sa chair. Mais elle manquait à la nature. L’amant solitaire souffrait de la joie du matin, comme d’une injurieuse ironie. Et des larmes lui gonflaient le cœur, parce que le ciel était bleu, parce que la terre était belle... Jacques se prit à envier le sort de ce vieux, qui s’en allait là-bas, comme une bête exté nuée, ployé sous un faix de bois mort. Les yeux à terre, presque enseveli sous la charge, celui-là ne voyait point la splendeur du ciel. Peut-être ne l’avait-il jamais vue. Son fagot absorbait son reste de pensée, et à petits pas incertains, il retournait au néant dont il n’é tait sorti qu’à peine, n’ayant même plus conscience d’avoir fait le geste de vivre. Son cœur insensible devait être aussi mort que le bois qui accablait son échine... Ce débris hu main n’avait plus qu’une valeur esthétique : il faisait bien là, tenant le rôle du « pauvre bûcheron tout couvert de ramée », acnevant Tout à-coup, le vieux chancela et s’abattit, le nez en avant, tout d’une pièce, avec le craÎuement sec d’une branche qui se brise, acques se précipita. Sous le fagot, rien ne bougeait plus ; au premier regard, nul n’au rait soupçonné qu’il recouvrait un homme. Jacques dégagea le paysan, inanimé. Il le souleva, l’adossa contre un arbre, étonné qu’il pesât si peu, moins lourd que son far deau. Ayant déboutonné son gilet de lustrine en loques, il entr’ouvrit sa chemise de grosse toile rêche, et s’assura que le cœur battait en core. Quand la poitrine du vieux fut à nu, Jac ques eut un mouvement de dégoût. Oh 1 ce torse émacié, rétréci, racorni par les ans. Un relent fade s’exhalait des aisselles. La peau desséchée avait déjà la couleur de la terre ; les côtes la striaient de sillons macabres, semée de poils fauves et de mousses blanchâtres, comme il en pousse sur les souches pourries. Plus de cou : deux tendons rigides ratta chaient comme des ficelles le sternum au menton. La tête miniscule avait roulé sur l’épaule, et dans cette petite face velue,défor mée, ravagée, simiesque et navrante, il fal lait deviner la place de la bouche et des yeux parmi les rides, les crevasses, les verrues et d’innomables excroissances... Jacques était allé tremper son mouchoir dans le ruisseau pour en humecter le front du vieillard. Et comme il s’inclinait vers lui, il songea de nouveau à celle qu’il aimait ; il revit ses lèvres et sa gorge en fleur... Etait-il vrai que ces deux êtres appartenaient à la même espèce ? Le paysan soupira, se redressa, et tandis qu’il bégayait des remerciements, Jacques l’aidait à se remettre debout. — Je viens d’avoir encore une attaque, fit-il d’une voix d’enfant malade ; ça m’arrive comme ça, mon bon monsieur. Je suis si ancien 1 C’est bien mon tour... N’est-ce pas que je suis assez vieux pour faire un mort T — Allons, vous avez le temps, dit Jacques sans conviction; mais en attendant, il ne faut pas rester là. Rentrez chez vous... A ce mot, le vieux eut un tressaillement d’épouvante. — Chez nous ? — Certainement. Vous pourriez tomber encore... Montrez-moi le chemin : je vais voua reconduire. — Et mon fagot? — Je vous le porterai. Le vieillard fit signe que Jacques ne l’avait pas compris. — Non, je ne peux pas rentrer. — Pourquoi donc ? — Parce qu’elles me battraient... Et il serra les épaules, avec un frisson ds peur. — Qui est-ce qui vous battrait? — Elles, je vous dis : la mère et la fille». — Votre fille? — Oui, ma femme, ma fille et son petit.» — Quel âge a-t-il, le petit ? — Il aura sept ans à la Saint-Michel. — Et il est capable de vous battre ? — Il fait comme les autres ; ça les fait rire... Tout d’abord, Jacques ne put croire à cette horreur. Le vieux dut lui montrer les marques des coups qu’il avait reçus la veille. Il ajouta : — Elles me battent, quand je ne rapporte pas assez de bois, que je vous dis... Vous voyez bien : il faut que j’en cherche en core... Et avec une ingénuité sublime, le vieil lard trouva des excuses aux mégères. — Vous comprenez : on est si pauvre 1 Le gars fait la pêche en Islande, mais il ne gagne ~>as gras... Je suis à leur charge, avec la )onne femme : alors, faut bin que je leur serve à quéquechose... — Votre vie doit être infernale, dit Jac ques. — Oh ! oui, ça n’est pas gai ; mais il n’y en a plus pour longtemps... — Pourquoi n’entrez-vous pas à l’hospice T Vous y seriez mille fois plus heureux... Vou lez-vous que je vous recommande au maire? Mais le vieux s’était campé fièrement, avec l’air de dire : « Pour qui me prenez-vous? » — A l’hospice 1 Je ne suis pas un men diant, qui cherche son pain chez les autres... J’aime mieux mourir comme je suis, au coin de not’ feu... Le jeune homme haussa les épaules. Il ne connaissait que trop ce préjugé d’orgueil im bécile, incrusté dans les cervelles bourgeoises et naysannes, ce fruit de honte que porta la « enarité chrétienne ». Jacques s’était mis à ramasser du bois avec le vieux, et lui faisait conter sa vie. Elle lui revenait par petits morceaux, en bouts de fihrases hachées, incohérentes, parfois ininteligiblcs : c’était comme une bouillie de sou venirs. Il avait servi sept ans, en Afrique, en Italie. Son régiment avait pris part à la cam pagne de Rome, en 1849, « pour remettre le pape dans sa place ». — Vous avez vu le pape ? demanda Jac ques, curieux de savoir quelles impressions avaient laissées dans cette mémoire obscure les splendeurs de la Ville Eternelle. C’était en effet l’un de ses souvenirs les...
À propos
La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.
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