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La Presse, 25 janvier 1884

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La Presse
25 janvier 1884


Extrait du journal

Il n'y a pas que des douleurs dans la plus monarchique des Républiques. Un jour sur cent les mandataires du peuple secouent leur torpeur, ouvrent leurs y'eux à la lumière et reconnaissent que c'est vraiment trop bête, en 1884, sur la lui du dix-neuvième siècle, de jeter un homme en prison pour quelques lignes parues dans un journal qui n'exprime pas l'opinion des maîtres du jour. Ên ■1884 ! lorsque la presse passe pour libre, _lorsque la pensée est censée ne plus con naître d'entraves T Ce n'est peut-être pas infâme, mais c'est bête. . La Chambre l'a senti et le peuple fran çais, rien que par ce simple vote, se sent l'esprit rasséréné. Il n'est pas exigeant, le peuple de France, Un petit sou lui rend la vie ! Une bonne pensée, un sentiment démo cratique lui rendent l'espéranGe. La misère s'étend, le déficit s'élargit, les impôts vont grandir, on entrevoit sous un horizon peu éloigné quelque chose qui ressemble à un écueil ; le ma- ' tin, en se levant, quand le cauchemar de la nuit n'est pas encore dissipé, onse dit : « Eh quoi, est-ce que cette république aussi pourrait sombrer par la faute de ses pilotes ? Est-ce que le gouvernement échéera toujours aux moins dignes? L'intérêt personnel, l'amour du pouvoir aveugleront-ils toujours nos ministres sur la nécessité de ne plus recommencer les mêmes fautes, de gouverner non pour cueillir de la gloire, non pour étaler leur force, non pour faire grand et faire beau, mais pour effacer du contrat social les iniquités que trente siècles d'oppression y ont gravées? » Et l'on se prend à dou ter du progrès ! Et Ton se dit que nous glissons vers l'ornière, la pire des or nières, celle des révolutions. Et que c'est toujours à recommencer ! Sous le poids de ces sinistres pensées, on ouvre distraitement un journal, un de ceux qui font la guerre au régime ré publicain, par exemple le Figaro, parce qu'il faut chercher chez ses ennemis plu- j tôt que chez ses amis la vérité sur les choses du jour. Et on lit dans le Figaro : « Eh bien! malgré cela, malgré les '» impôts énormes et le budget en déficit, » malgré les usines qui chôment et les » ouvriers qui ne travaillent pas, la ».France est résignée à ce point que » l'élection de deux députés conserva» teurs, remplaçant, l'un un autre con» servateur, et l'autre un inoffensif » centre gauche, est considérée à droite » comme un triomphe, à gauche comme » une défaite. » Une monarchie qui aurait fait la » moitié de ces sottises aurait déjà sUc» combé sous leur poids, mais du mo5> ment qu'elles sont républicaines, elles » sont vite pardonnées et excitent à peine » une minute d'étonnement. » Les monarchistes ayant l'habitude d'exagérer le méc©ntentement populaire, on peut croire qu'en effet il n'y a encore dans la nation que de... l'étonnement. Le Figaro en est surpris et fort marri. Pour lui, la prolongation du régime ré publicain, dans' ces conditions, est un signe caractéristique de la « niaiserie humaine». La République n'existe réellement que depuis la ehute du maréchal de Mac-Mahon, c'est-à-dire depuis le mois de jan vier 1879. Dans ces cinq années, on n'a rien fait, il est vrai, de républicain; et, à l'exemple de l'empire, on a enflé le bud get, on a couru les aventures, on a laissé les privilèges aux privilégiés et les entraves à ceux qui n'ont que leurs bras et leurs jambes pour se défendre de la faim. Cela est l'œuvre de quelques hommes qui sont des passants dans la: République, c'est l'œuvre de deux ou trois ministres et non la. conséquence du régime républicain. Et il faudrait renverser la République, recommencer l'expérience nécessaire ment stérile d'uue monarchie ou d'un empire parce que M. Ferry, placé entre des économies et des augmentations, d'impôts, se décide pour les augmenta tions d'impôts, parce que M. Ferryneveut d'aucune liberté, ni d'association ni de presse, ni communale ni départemen tale!... . Une révolution est inutile ; deux où trois votes encore comme celui de mardi et c'en sera fait du ministère actuel. Il n'y a que Sganarelle qui ait le droit d'être perpétuellement battu, cocu et content. Ce n'est pas l'usage pour nos gouvernants-. Eh bien, vienne un ministère sincère...

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La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.

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