Extrait du journal
ment ? Je crains que cette société utilitaire ne soit pire que celle dont nous sommes affligés ; j’ai peur qu’un égoïsme sans frein ne s’y affirme et que la lutte pour la vie, déjà si ardente, n’y devienne atroce, furieuse, sanguinaire. Peut-être dans le domaine spé culatif, le patriotisme est-il une absurdité. Toutefois, c’est un des rares sentiments qui puissent à certains moments inspirer des actes désintéressés. Lorsque ce sentiment aura disparu, lorsque nous serons délivrés de cette inquiétude salutaire, tous les ins tincts brutaux qui dorment en nous se dé chaîneront. Nous n’aurons plus qu’une pen sée : jouir, dans la plus large mesure qu’il se pourra, et fût-ce au détriment du voisin. Vous savez bien, monsieur, que le complet nivellement est une chimère. Si démocra tique que vous supposiez le régime de i996, il devra grouper des créatures dissemblables, des fourmis prévoyantes et des cigales pro digues. Celles-ci seront exploitées, rançon nées, dominées par celles-là ; elles voudront se défendre. 11 s'ensuivra des guerres ci viles, au moins aussi barbares que nos guerres étrangères. On tenta de l’interrompre. Mais il était lancé, il poursuivit. — Et, dans tout cela, que deviendront les arts et les lettres ? Ce souci vous laisse froid : il vaut pourtant qu’on s’en préoccupe. Vous trouvez excellent d’abolir les préjugés natio naux ; vous ne songez pas qu’en supprimant les frontières, vous détruisez du même coup les traditions, les souvenirs, les usages, par où se distinguent entre eux les diverses races. Or la littérature et particulièrement la poésie ne s’abreuvent guère qu’à ces sour ces. Si, par malheur, elles tarissent, l’art ne sera pas loin de périr. Quand les Français ressembleront parfaitement aux Italiens, et les Espagnols aux Belges, quand tous les citoyens de tous les peuples seront astreints aux mêmes coutumes, il deviendra fastidieux de composer des romans de mœurs ; et quand une môme aisance médiocre s’épandra sur tous les individus, les poètes ne pourront plus remplir leur mission sacrée, qui est d’exalter le sacrifice et de consoler les mal heureux. Et alors, il eu sera des lettres comme des objets alimentaires. De vastes usines s’installeront, d’où sortiront des livres et des pièces de théâtre fabriquées par d’ha biles artisans. Les œuvres fortes céderont le pas à des récits amusants improvisés pour la foule, ou à de grossières exhibitions. Et les jeunes gens, élevés dans le seul respect de l’existence pratique, perdront le goût et le sentiment de la beauté... Nous espérions que le joyeux chasseur réfuterait ce discours. Mais son cigare était éteint. 11 lit un geste qui voulait dire : « Après moi le déluge !» Et il changea de conversa tion. Adolphe Brisson....
À propos
Face à une gauche qui ne parvient pas à contenir ses partisans, Léon Gambetta entend rassembler une majorité de républicains autour d’un nouveau quotidien, organe de l’Union Républicaine : La République française. Grand journal à 15 centimes, il consacre une part importante de son contenu aux nouvelles de province et joue un rôle considérable dans la victoire des républicains contre les conservateurs. La mort de Gambetta provoque de facto un infléchissement de la publication qui s’éteint lentement jusqu’en 1931.
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