Extrait du journal

de là-bas ne pardonnent pas aux Abris. Leur neutralité les offusque, comme leur concurrence paraît insupportable aux aubergistes. Songez que les Abris qui ne sont encore qu’au nombre de huit, reçoivent bon an mal an de 3 à 400.000 visites. Ces 400.000 visites-là re présentent 400.000 « gouttes » de moins, comme on appelle sur la côte le petit verre d’eau-de-vie. Et il semble qu'à dé faut des aubergistes et des politiciens, la Fédération des marins-pêcheurs eût dû savoir gré aux Abris des heureux résultats de leur campagne contre l’al coolisme. Vous ne connaissez pas cette Fédération, animée de l’esprit socialiste le plus pur. On y trouve bien quelques marins en exercice ; mais les dirigeants ont tourné le dos à la mer depuis belle lurette et la plupart sont des débitants. Ainsi s’explique que le premier soin de la Fédération, réunie en congrès à Quimper, l’an passé, ait été de voter un blâme aux Abris. Les Abris ont essuyé le choc sans faiblir ; ils ont pour eux la quasi unanimité des pêcheurs. L’adhé sion de ces braves gens leur suffit. Eux-mêmes pourtant,ces braves gens, au début, avaient marqué quelque mé fiance. On n’aime guère les « nouveau tés » en Bretagne. Le premier Abri du Marin avait été fondé au Guilvinec, pe tit port du Finistère qui compte 3.000 inscrits et est fréquenté au printemps par nombre de pêcheurs étrangers à la localité. « Au début, dit M. de Thézac, le co mité directeur fut péniblement consti tué. Gela était si nouveau, si étonnant, si déprécié par les quolibets de certai nes coteries ! Les marins trouvaient que c’était péché que de s’amuser à faire une maison pour eux qui avaient déjà la leur. U y eut hésitation durant quel ques jours. Ce furent les pêcheurs étrangers qui donnèrent le mouvement, le quatrième jour, et entraînèrent aussi tôt à leur suite, par douzaines, les pê cheurs du pays... Dès lors tous com mencèrent à comprendre ; un revire ment rapide, violent même, se produi sit. Les dimanches qui suivirent, il y eut 100, 200, 300 pêcheurs. » Vinrent les beaux temps et, avec eux, la reprise de la vie au large, en pleine mer ; les pêcheurs ne passaient plus que quelques heures à terre, le samedi soir et le dimanche matin. Naturelle ment les salles étaient vides et, sauf quelques dimanches, quelques jours de mauvais temps, Y Abri ne servait guère durant l’été. Le soir pourtant, des jeu nes gens et des mousses, attirés par les appareils de gymnastique, se rendaient assez régulièrement dans le préau cou vert. Aussi les fondateurs de l’Abri at tendaient-ils avec quelque anxiété l’au tomne, époque du désarmement. « L’épreuve décisive allait avoir lieu, dit M. de Thézac. En effet, le premier engouement avait eu tout le temps de passer ; l’habitude de fréquenter l’Abri était perdue ; les attractions si modes tes de rétablissement étaient très con nues, usées sans doute 1 Qu’allait-il ar river ? » Ce qui arriva, c’est que tous les pê cheurs de l’année précédente, renforcés d’un certain nombre de recrues nouvel les, réintégrèrent YAbri sans se faire prier. L’expérience était faite, cetite fois, et, comme dit M. de Thézac, elle était décisive. Il n’y avait plus qu’à l’étendre aux autres ports du littoral....