Extrait du journal

Feuilleton du Courrier de Bourges. — 26 février. TJ1T TABLEAU FAMILLE. (Suite et fin.) A force de s’isoler, de sc faire le centre de sa vie tout entière, de rapporter à soi toutes ses actions et toutes ses pensées, il avait im primé à sa voix, à sa physionomie, à ses paroles, un cachet d’égoïsme et de suffisance qui tournait contre lui les esprits les plus dociles, et lui fermait les cœurs les mieux disposés à l’expansion. Le senti ment est une fleur délicate qui a besoin de culture, d’air et de soleil ; si vous le reléguez, comme une plante parasite, dans le coin le plus obscur et le plus reculé de l’être moral, elle s’étiole peu à peu, sa sève se tarit, et elle meurt bientôt, faute d’aliments. Notre célibataire avait complètement négligé cette partie de lui— môme ; mais la nature renferme des abîmes qu’elle seule peut eombler. Après s’êlre passe si longtemps d’affection, son cœur s’éveilla et demanda sa part des joies de l’amitié cl des douceurs de la sym pathie. Ces besoins de tendresse, qu’il avait traités si longtemps de puérils, de factices ou d’imaginaires , il commençait à les éprouver. Son âme souffrait d’un mal qu’il ne pouvait définir et qui semblait s’accroître en dépit de sa fortune, de sa considération cl de son i opulence, trois choses avec lesquelles il lui avait semblé impossible d’être malheureux. Un malade est constamment à la recherche de sa guérison , mais il se lasse vite des remèdes qui sont restés impuissants. Aussi Paul finit-il par reconnaître que le cœur a ses exigences secrètes aux quelles ne peuvent répondre ni le bien-être matériel , ni les jouis sances de l’esprit. Cette pensée le ramena aux souvenirs de son enfance et des lieux où s’élail écoulée sa jeunesse. Il désira revoir Emmanuel, et apprendre quelle était la position de ce dernier, espérant, à son iusu peut-être, trouver là des marques d’affection et de désintéressement qu’il cherchait vainement ailleurs. Sa détermi nation , une foie prise, fut promptement exécutée. Huit jours plus...