Extrait du journal

gens si graves et si chatouilleux d'ordinaire!... Je vous le déclare, moi, membre de la commission d'examen — à moins de très hautes interventions- — cela n'eût pas passé !... Le succès de la récente tournée de M. Berlioz en Al lemagne, succès dont tous les journaux ont eu grand soin de nous entretenir depuis une ou deux semaines, vient de suggérer à quelques esprits pratiques des cafés du boulevard Montmartre une idée tout bonnement triomphante. Puisqu'il est bien entendu que l'Allemagne seule est dans le secret du génie de M. Berlioz ; que la Muse de M. Berlioz étouffe en France, qu'elle y manque d'air respirable; qu'elle y est méconnue; qu'elle y est cons puée; qu'elle y est en terre d'exil; ne pourrait-on faire avec nos voisins échange entier, complet, définitif, irrévocable de M. Berlioz, contre quelques lopins de territoire de la rive gauche ? Chacun de là sorte y trou verait son compte^. Ce bonhomme qui nous regarde avec une si profonde pitié, ne nous regarderait plus du tout, avantage, pour lui comme pour nous, inappréciable. Les Allemands qui nous l'envient cesseraient de nous l'envier, et une fois en sa vie, du moins, comme le dindon de M. le curé, il aurait été utile à quelque chose. Quel plus beau couronnement d'une carrière plus accidentée, plus panachée de fours et de déceptions ! Seul, le boulevard des Italiens y perdrait un de ses fidèles ; mais il y promène une mine si triste toujours, si sombre, si renfrognée, des chapeaux et des paletots si peu brossés, que le boulevard en prendrait vite son parti. Qu'on y songe, la paix de l'Europe est peut-être au bout de cette combinaison, sur la grandeur et la sim- ' plicité de laquelle je n'insisterai pas davantage !...