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Le Figaro, 20 avril 1897

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Le Figaro
20 avril 1897


Extrait du journal

tions, de réflexions, s'animant et gesticulant de si belle façon qu'on n'y voyait rien, qu'oij n'entendait rien, qu'on ne distinguait plus rien, et que je sais deux personnes qui ont passé trois quarts d'heure dans la même salle sans se retrouver. Il est vrai que c'étaient le mari 'et la femme ! * Je me demande même, à ce propos, pour quoi les peintres tiennent tant à la cimaise. En des journées pareilles, surtout, elle ne leur sert vraiment pas à grand'chose, et il faut qu'une toile soit joliment haut perchée pour qu'on arrive à l'apercevoir par-dessus les plu mes et les fleurs de nos Parisiennes. J'avoue, d'ailleurs, qu'il serait difficile de demander en core aux femmes d'ôter leurs chapeaux au Salon. Cela ne nous a déjà pas beaucoup réussi au théâtre. Inutile donc d'insister. De- l'immense' toile de M. Jean-Paul Laurens, le Lauraguais, la première qui frappe l'oeil en entrant, on apercevait tout au plus un bout de ciel. Ainsi qu'il fallait s'y attendre, c'est un des. tableaux qui attirent le plus la foule et devant lesquels les discussions sont les plus animées. J'ai saisi, là, un bout de dialogue très amusant, entre deux braves bourgeois qui se croyaient obligés, parce qu'ils étaient au Salon, de causer peinture : — Moi, disait l'un, je la trouve admirable, cette toile... . — Moi pas, répondait l'autre. — Mais, regarde donc toute cette étendue, ces ravins, cette colline ... — Oui, mais, là-haut, ce petit bœuf, si petit, si disproportionné, voyons, ce n'est pas natu rel, ça ! ' • Alors, l'autre, furieux,.tenant son ami parle bouton de sa redingote : — Ah ! tu le trouves disproportiônné, toi, ce bœuf, tu le trouves petit ! Eh bien ! fais-le donc, toi, ce petit bœuf, fais-le donc ! L'ami, qui avait l'air d'un brave marchand de porcelaine, resta tout interloqué. Il ne se voyait pas bien, en effet, faisant ce petit bœuf. Et la discussion s'arrêta là, ce .qui prouve que les arguments ad Itominem sont, en toutes choses, ce qu'il y a de meilleur. La plupart des gens qui étaient là, du reste, avaient déjà leur opinion faite, étant venus la veille au vernissage du Président de la Répu blique. On potinait là-dessus, dans les groupes : — Très habile, -le Président! Il s'est beau coup arrêté devant le portrait du duc d'Aumale ! — Eh bien ? — C'est une avance aux orléanistes ! — Oh! dans ce cas, il a bien fait aussi quelque chose pour les bonapartistes... — Comment cela ? — Mais oui ! en s'arrêtant devant VA igle de Bonnat ! C'est ainsi qu'on parle peinture un jour de vernissage. Il est vrai qu'à un certain rani ment, après le déjeuner, la poussée a été si ter rible, l'affluence si grande qu'on n'avait même plus la place pour parler. On était porté par le remous d'une salle à l'autre, regardant passer et papilloter toute cette peinture, comme on voit, en chemin de fer, monter et s'abaisser les fils télégraphiques. Il serait difficile de dire devant quels tableaux on s'est arrêté ; on s'arrêtait où l'on pouvait. Impossibilité absolue de courir après les toiles que l'on voulait voir. Quelques-uns le tentaient, cependant. Un monsieur très myope s'en allait ainsi de groupe en groupe, bousculant tout le monde et, le nez sur la cimaise, ayant l'air de chercher quelque miniature : — Mais, qu'est-ce que vous voulez voir ? lui demanda-t-on. — Un tableau d'un de nies amis. — Et il s'appelle ? — Plafond!répondit-il gravement... Vers quatre heures seulement, il y a eu une éclaircie, à peu près au moment où le Salon allait fermer. Mais on ne songeait plus guère, alors, à voir de la peinture. Il s'agissait de ne pas se laisser distancer, de retrouver sa voir ture, car ç'a été là encore une jolie complica tion. Que de jolies femmes et que de person nages illustres ont stationné à la sortie, tandis que les petits ouvreurs de portière vous as sourdissaient les oreilles en appelant à pleins poumons : « Le coupé de monsieur le comte! — La voiture de'madame la marquise!... » C'était le moment, évidemment, de prendre des noms, mais à quoi bon ? Il y aurait fallu un supplément du journal. Pour cinquante qui.vous viendraient à l'esprit, on en oublie rait cinq cents. Si vous voulez savoir tous ceux ou toutes celles qui étaient là, appre nez par cœur votre Tout-Paris, ou bien li sez pendant une année «le Monde et la Ville» démon ami Ferrari: vous aurez alors quelques chances d'avoir à peu près la liste. Toilettes très voyantes, des corsages clairs, des chapeaux rouges en quantité. Je parle des chapeaux des femmes, bien entendu. Ceux dés hommes, noirs à l'arrivée, étaient uniformé ment gris au départ ; on aurait pu dessiner dessus. Quant aux souliers, pour un jour de vernissage, vraiment, ils étaient dajis un bel état ! Un mot, entendu à la sortie, résume bien cette terrible journée comme n'en ont peut-être pas passé les Grecs ni les Turcs. C'est une bonne grosse dame qui demandait à son mari : — Eh bien, qu'est-ce qui t'a le plus frappé dans ce Salon ? . — Un renfoncement que j'ai reçu dans l'es tomac ! répondit l'autre... Un aveugle....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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