Extrait du journal

Au début de l'année 1922, la population de Saigon manifestait une visible inquiétude. Je reçus au journal l'Opinion, dont j'étais le rédac teur en chef, d'assez nombreuses visites de per sonnes fort alarmées. Elles venaient, uniformé ment, me poser une question : « Est-il vrai que le notaire Mathieu va sauter ? Pourquoi votre journal ne donne-t-il aucun écho aux suspicions formulées contre cette étude ? » Je n'avais pas plus de précisions que n'en avait le public, mais pour le journal la situation , était délicate. Si réellement l'étude Mathieu était , en jjéjril, les soupçons allant vite ët lit presse 'étant réputée toujours informée, on pouvait nous accuser de tenir volontairement la lumière sous le boisseau, favorisant ainsi la continuation des agissements délictueux de Mathieu, si tou tefois les bruits répandus étaient fondés. Une seule issue'm'était offerte, et je m'y pré cipitai. Nous avions pour chef de la magistrature cochinchinoise l'homme probe que fut, tout au long de sa carrière, le procureur général Joyeux, antithèse de son sinistre prédécesseur, le trop fameux P. G. Gabriel Michel. Je frappe résolu ment à sa porte. — Vous tombez bien, fit M. Joyeux après m'avoir entendu. Voyez sur ce divan ces livres de comptabilité. Ce sont ceux de l'étude Mathieu. Ils ne sortiront d'ici qu'après vérification sévère. N'en dites rien au public, engagez à un peu de patience les personnes qui viendront vous voir et, dans une note très discrète, je m'en remets à vous, faites savoir simplement au public que le parquet général n'est pas indifférent à ses préoccupations. M" Edgar Mathieu, le notaire suspecté, avait été le premier clerc de M" Camille Aymard, ce qui indique déjà qu'il fut instruit à bonne école sur les devoirs de sa charge. Aussi avait-il natu rellement succédé à M. Camille Aymard lorsque l'indignation publique chassa de Saigon le « Mauvais Français » flétri par le P. G. Delestrée. En magistrat scrupuleux, le procureur général Joyeux estimait comme un strict devoir de rie pas limiter son enquête à la seule étude Mathieu. Il l'a donc étendue aux deux autres études saïgonnaises, celle de M* Baugé et celle de M° Fays. Rien à dire de l'un ni de l'autre, mais laissons maintenant l'enquêteur lui-même faire connaî tre les criminels agissements du notaire véreux. Le 13 février 1922, dans un rapport officiel, adressé au Gouverneur général de l'Indochine,...