Extrait du journal
Au Lido, cet été, comme sur toutes les plages d'Europe, les dames rivalisaient avec les nymphes de la mythologie. Des heures entières, elles doraient au feu du ciel le beau tissu, frotté d'huile comme dans Homère, qui couvre désormais de longs mus cles bien exercés. Ou bien, bondissantes, elles se précipitaient à la rencontre de l'eau. Et l'on voyait courir légèrement leurs jambes si fines. Je les éga lais tout à l'heure à des nymphes. Autant de Dianes, plutôt. C'est que les dames, en Italie, ressemblent aux dames de France et d'ailleurs. Toutes veulent pa raître minces à miracle, aujourd'hui, depuis dix ^ns.'D'une minceur égyptienne. Les comparaisons de l'antiquité grecque ou latine ont perdu leur pres tige. Les dames en seraient irritées, comme des rustiques et chevaleresques louanges d'un Ronsard. De même que les lys et les roses des chansons ou des sonnets, elles ont banni toute mollesse, toute lourdeur : le moindre embonpoint leur semble une disgrâce et le pire des ridicules. Depuis dix ans. En Italie comme ailleurs toutefois, elles sont allées trop loin. L'humaine nature est ainsi ; nous exagérons toujours ; nous nous jetons en nous ré criant d'un pôle à l'autre ; les extrêmes seuls nous tentent... Je me rappelle que je me trouvais naguère, par un beau soir, dans un frais salon, devant un grand jardin, et que des dames à la robe fleurie s'y promenaient au milieu des verdures ; admirable ment habillées; merveilleusement coiffées; dans tout l'éclat de cette quarantaine, en outre, qui accroît les charmes natifs et physiques d'un attrait imma tériel, d'une séduction de l'esprit; par malheur, à peu près réduites dans leur silhouette à une droite perpendiculaire au sol. De telle sorte que le soleil, l'astre quelquefois méchant, m'en prenait à témoin. Reconnais me disait-il, qu'il en est sur la terre com me sur l'Olympe : Diane ne peut être qu'une ado lescente. Mais en Italie, cet été, au Lido, celles qui ont paru trop minces, en définitive, pour avoir trop souvent dîné de trois feuilles de salade et d'une pincée de chips, trop minces, trop « idéales », selon la boutade de Steccheti, trop minces, trop maigres, jusqu'au décharnement, pour la première fois depuis la guerre n'ont pas ébloui. Car il s'est rencontré on ne sait quel poète qui les a définies en ces termes : « Sono le signore délia Crisi... Ce sont les dames de la Crise ». On ne les a plus re vues qu'en pyjama et le soir à l'hôtel elles se sont enfin nourries. Après dix ans. Telle est la nouvelle qu'un ami m'a donnée. Je l'ai trouvée jolie, raisonnable, à peine croyable, du reste, comme un trop bel espoir. Songez. Si toutes celles qui nous plaisent allaient mettre leur passion à chérir en tout un juste point ? Pour dix ans ? > Eugène Marsan....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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