Extrait du journal
Par HENRY BIPOU .-©US sortions d'une des premières expositions de 'année. Le vieux peintre unit la main sur mon épaule et dit : « Qu'est-ce que la peinture ? » Je le regardai avec -fâirprise. Il était tout ce qu'il y a de plus vieux peintre, pourpre sous poil gris, le nez bulbeux et résilié de veinules, l'oeil rond. Son cha'peau était en même temps circulaire et plat, dur et mou, et je cherchais quel magasin pouvait bien vendre ces feu tres noirs pour artistes octogénaires.-D'une voix cassée, il répéta i « Qu'est-ce que la peinture-?. » — « Du temps des cavernes, répondis-je, la peinture était une opération magique.. On traçait l'image des ani maux sur le mur, on la perçait, et du même coup le gibier était mort. » > , —■ « Cela, dit-il, je le comprends ; je crois même qu'il reste un peu de ces pratiques chez les portraitistes. Mais les dix mille peintres qui vivent en France ne sont pas tous sorciers. » — « Un peu plus tard, au néolithique, poursuivis-je, l'art est devenu tout-à-coup géométrique. C'est une es pèce de rythme qui oscille de la vie à l'arabesque, du décor pittoresque au trait nécessaire. » — « Je comprends cela aussi, dit le peintre, mais je - ne savais pas que le décor stylisé fût aussi ancien. Alors Matisse est un néolithique ? 11 en sera bien content. » — « Pour les Egyptiens, repris-je,. la peinture était le moyen suffisant d'assurer aux ombres la possession des objets les plus nécessaires. Les morts n'ont que faire de la troisième dimension. Ils se contentent du contour d'escla ves faits au pinceau et de femmes infiniment plates. » — « Il restait de cela chez les bourgeois du dernier siècle qui voulaient des natures mortes aux murs de leur salle à manger. Lièvres, faisans, perdrix, chevreuils, s'écroulaient de toutes parts, et, au milieu de ces somp tueuses promesses de festins, le maître de ces lieux man geait un œuf à la coque. » — « J'ai vu à Palmyre, continuai-je, des portraits enchâssés sur des tombes. Qu'était-ce sinon la survie par l'image ?.» ' — « C'était aussi la présence perpétuelle, dit le pein tre. Je connais cette .formule de la peinture. Jîai fait le portrait d'un homme qui présidait beaucoup ~ de conseils d'administration. Je l'ai représenté, magnifique et pensif ; son génie et son autorité éclataient dans ses yeux. Il res tait accroché au mur dans une salle où il n'y avait per sonne, et il fulgurait dans la solitude. Quand il entrait dans cette pièce, il avait plaisir à se retrouver toujours aussi beau. Quand il sortait, il déléguait à son image la représentation de ses hautes fonctions. Les employés pas saient avec respect sous ce regard peint. C'était le dieu dans le temple. J'ai compris par là la peinture reli gieuse. » — « Tout n'est pas risible dans ce culte, osai-je répondre. Il y a dans la bonne peinture un influx vital. Qu'est-ce en réalité, sinon quelque chose que le peintre a transporté du modèle, à moins qu'il ne l'ait pris à soimême ? Les mystères de la vie-sont infinis. Quelque chose que nous ne savons pas est enfermé dans un portrait. Est-ce une simple image, cette miniature qu'un amant couvre de larmes et de baisers ?» — « Ce que vous dites-là me plaît beaucoup, dit le peintre, et, dussé-je être brûlé, il me plairait d'avoir fabri qué des ^mes avec du bleu de cobalt, du vermillon et de l'ocre. Malheureusement, je crains que ces âmes-là n'aient déserté la peinture, et n'aient passé dans la photo graphie. » « ^ La peinture est tout cela, dis-je en matière de conclusion, et elle est bien autre chose encore. Elle est l'instinct ^naturel de l'imitation. Elle est l'instinct naturel de la création, et il lui suffit de marquer symbolique ment cette création par des cercles et des traits sur un mur. Au moyen âge, elle remplaçait la lecture, et les journaux lui ont fait un grand tort. Pour beaucoup de peintres, elle n'est que l'application docile dé formules enseignées, dont ils n'ont jamais cherché le sens. Pour cl autres, elle est la . lumière captée, le contour stylisé, I abstraction de la forme. Elle va plus loin encore, et elle est la lumière de la lumière, la musique du contour, le sentiment de ce qui n'a pas de nom. Elle est l'infini glissé dans le souvenir. (Suite page 3, col. I et 2.)...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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