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Le Figaro, 5 mars 1897

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Le Figaro
5 mars 1897


Extrait du journal

action décisive, quelle qu'en soit l'issue. » Le Roi et moi, pendant longtemps, nous avons conseillé le calme, la pa tience, afin de donner à l'Europe le temps d'agir. L'Europe, à ce moment-là, n'a rien fait. La patience a des limites, et la nation n'a plus voulu supporter d'autres délais. » Quant à moi, ici même, on m'a ap pelé traître pour ne pas agir et pour ne pas vouloir agir plus tôt. » Devant un tel mouvement d'opinion, dans ce pays généreux et valeureux, qui s'indignait de voir l'Europe regarder im passible les massacres turcs, le Roi s'est rendu aux vœux du peuple. Il n'a pas ordonné, il a obéi, et désormais, son de voir lui étant connu, il le remplira jus qu'au bout, quoi que fassent et quoi qu'en disent les puissances. » On raconte aussi, me disiez-voustout à l'heure, que la Grèce a poussé ceux que vous appelez les « insurgés » à atta quer .les musulmans, et que nous avons ainsi préparé la révolution et l'évolution crétoises ! » C'est tout aussi faux que le reste. Nous sommes, je vous le répète, enve loppés dans un réseau de mensonges et on nous calomnie à propos de tout. » Je ne voudrais cependant pas refaire devant vous l'histoire des événements dont nous avons tant à • souffrir et dont l'Europe peut ressentir, dans toutes les nations, les tristes effets. Mais je tiens à prouver que nous avons, au contraire, prêché le calme. Nous avons observé, vis-à-vis de la Turquie, la simple atti tude de gendarmes. Nous montions la garde, nous observions, nous dé noncions les crimes turcs à l'Europe insouciante. Rien de plus. Au mo ment où les réformes, si. longtemps, si souvent, si vainement promises par le Sultan allaient être appliquées, un ordre venu de Coristantinople, du pa lais impérial, a décidé et dirigé de nou veaux massacres chrétiens. L'ordre éma nait du Sultan, c'est prouvé. Que se passa-t-il alors ? L'Europe envoie des na vires pour protéger ses nationaux, nous en envoyons aussi pour protéger les nôtres. La Turquie annoncé, sur ces en trefaites, qu'elle expédie des torpilleurs, nous en expédions aussi pour proté ger nos vaisseaux. Malgré là pré sence des flottes, les massacres conti nuent et les grandes puissances, au lieu d'intervenir, se bornent à discuter entre elles, donnant ainsi la preuve suprême de l'anarchie absolue ! A ce moment, ne prenant conseil que de nos âmes, nous avons débarqué nos propres forces pour rétablir, à nous seuls, l'ordre dans l'île et pour protéger, indistinctement, les musulmans et les chrétiens. » Quelle est notre récompense pour cette œuvre humanitaire? L'Europe fu rieuse bloque la Crète, interrompt et interditnotre essai de pacification, puis, sous la protection des canons étrangers, elle laisse les soldats du. Sultan attaquer à nouveau les chrétiens et elle empêche le. ravitaillement de nos troupes, avec l'in discutable espoir qu'elles seront massa crées. Voilà l'œuvre de l'Europe ! » Le droit international,que les grandes puissances solennellement et pénible ment réunies invoquent, nous donne tort. Oui, certes ! Mais nous sommes en Crète pour empêcher les massacres, et puisqu'on parle de droit international, veut-on nous dire quel est lè texte qui permet au Sultan de commander ces massacres et qui permet aux puissances de les tolérer si longtemps, malgré les cris des victimes et malgré nos objurga tions? » Les discussions à ce sujet, les notes .diplomatiques, les phrases sont inutiles : on nous oppose tout simplement le droit du plus fort. — Votre Excellence, qui dirige avec le Roi la politique du gouvernement grec dans une phase aussi difficile, Votre Excellence pense-t-elle qu'en présence de la note comminatoire des puissances, l'attitude de la Grèce se modifiera? — Il nous est impossible de reculer, reprit M. Delyanni en scandant chaque mot et en répétant : Impossible à tous les points de vue. » Le peuple ne le permettra jamais. — Mais, du moins, rappellerez-vous les troupes de Crète ? — Non, absolument non ! — Et que ferez-vous, monsieur le pré sident du Conseil, si les puissances em ploient la force contre votre pays ? — Eh bien I les puissances devront vaincre la Grèce entière. » En attendant, qu'elles sachent bien que le rappel de nos troupes serait le signal d'un massacre épouvantable, que nos troupes seules, par un effet moral plutôt encore que matériellement, em pêchent en ce moment en Crète. » L'Europe est responsable des mil liers de vies déjà perdues; si elle nous y contraint pqr la force de ses canons, elle sera responsable devant l'humanité, par la guerre de la Grèce et par ses con séquences, de la boucherie la plus colos sale qu'il y ait jamais eu dans le monde entier. » Ces déclarations, faites non pour moi, mais pour le public de la France inquiète, m'avaient tellement ému qu'il y eut, après cette violente apostrophe de M. Delyanni, un silence. Je n'osais plus questionner le président du Conseil. Cependant, dans l'espoir d'emporter de cette entrevue une im pression moins douloureuse, après de longues hésitations j'insistai encore : — Cependant la Grèce n'envahirait pas la Turquie, portant la guerre au delà de ses frontières? » M. Delyanni ne répliqua pas aussi brusquement que de coutume. Il se tut tout d'abord, puis ajouta : — Je n'ai pas le droit de vous répon dre. »...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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