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Le Figaro, 7 janvier 1867

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Le Figaro
7 janvier 1867


Extrait du journal

Un ermite du faubturg Saint-Marceau, qui nous fait bien l'effet d'avoir longtemps véçu loin de la montagne Sainte-Geneviève, nous adresse la lettre suivante. Il y fustige les chroniqueurs avec des verges à bonbons, de véritables verges de jour de l'an. Mais attention, bon ermite^ les chroniqueurs, qui ne reçoivent rien pour rien, pourront bien vous renvoyer vos étrennes. Vous ne refuserez pas la cinglée, n'est-ce pas? Les petits cadeaux entretiennent l'amitié : A monsieur de Villemessanl. Monsieur, Je vis en solitaire dans un coin perdu de ce grand Paris où il y a de tout, même des ermites. J'ai cessé volontairement d'être acteur dans la bataille de la vie, et me suis fait une retraite profonde au milieu de la turbulence universelle, mais je n'ai pu cependant me désintéresser des problèmes que ce siècle est en train de résoudre ou d'embrouiller, au point de fermer com plètement ma porte aux bruits, duilehote. Je le confesse, je l'ai laissée entrebaillée pour le fac teur; je suis un cénobite qui lit les journaux, et mon ermitage est un cabinet de lecture dont je suis le seul abonné. •J'aime de toute la force de ma vieille âme voltairienne tous ces jeunes talents, qui pour la plupart, vous doivent leur précoce célébrité; je les aime pour leur entrain, pour leur verve, pour ce diable au corps qui les tient, pour cet admirable outre-vaillance qui les fait se précipiter tête baissée à travers tous les cassecou du paradoxe et du caprice. Mais dans le concert quelque peu charivarique dont ils me régalent chaque jour, devient continuellement une note qui m'irrite, qui m'exaspère ! Ce n'est point parce qu'elle est fausse, j'ai les oreilles du roi Louis XV, mais elle est si lugubre que ma chère quiétude en est toute troublée, et décoléré, je prends la plume pour vous adresser mes remontrances, à vous leur parrain, mieux que leur parrain, leur père selon l'esprit. Décadence par-ci ! décadence par là! Voilà le refrain que s'évertuent à moudre soir et matin à nos oreilles, ces Ezéchiels et ces Jérémies du rire, sur l'orgue de Barbarie de la chronique ! Il faut convenir qu'il n'est pas d'une gaieté folle ! De la part d'un vieux de la montagne, comme moi, de la montagne Sainte-Geneviève, bien entendu, cette désespérance, ce mépris, cette lassitude de toutes choses se comprendrait; mais de la part de ces jeunes hommes à qui la vie est si facile, qui, du premier coup d'ailes, sont arrivés à ce but que tant d'autres pour suivent, sans jamais l'atteindre, la célébrité, qui sont nés d'hier et qui, du jour au lendemain, par la grâce de leur esprit, par un caprice du sort, pour s'être trou vés, monsieur, sous votre regard, se sont vus trans portés dans cette savoureuse existence que Paris, cette mère-gâteau des cités, peut seule offrir à ses favoris ; en vérité, cela ne se conçoit pas, cela est étrange! Est-ce pour le plaisir de faire du nouveau ? Mais elle est vieille comme le monde, cette rengaine de la Décadence ! D'où vient donc qu'ils voient toutes choses par leur côté sombre, ces délicats et ces raffinés? D'où vient que leur rire fait la grimace, et qu'au fond, tous ces veuillotinés ne soient que des veuillotinants ? Un jour que je venais de lire, dans le Figaro, dans le Nain Jaune, dans le Soleil, etc., une kyrielle d'articles tout encombrés de morale, où ces exhibitions défaussés nudités si fort en vogue aujourd'hui étaient stigm'atisées de la belle manière, le souvenir revint à ma pen sée de ces tableaux vivants qui furent un instant à la mode vers la fin du règne de Louis-Philippe, et de cette belle madame Keller, dont les formes sculpturales fournirent l'occasion à M. Théophile Gautier de si spl^pdides débauches de style, et même lui firent com mettre un péché qui lui sera d'autant plus facilement...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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