Extrait du journal
Elles firent si bien qu’au bout de quel ques semaines, celui qui avait juré un amour éternel et promis le mariage, pour le cours de l’hiver, s’enfuit brusquement, laissant à la pauvrette une lettre lâche, monstrueuse et grossière, dans laquelle il lui reprochait brutalement d’être une fille vicieuse, en quête d’un bon naïf, pour se faire une situation. La jeune fille jusqu’à ce moment avait dédaigné, fière et hautaine, les médisances, les infamies. Alors, comprenant que les paroles hostiles avaient cassé son pauvre bonheur, elle les écouta. Elle discerna, parmi ses ennemies, les plus acharnées, les plus fielleuses : elle les observa:, s’informa, prépara sa vengeance. La plupart étaient des dames de la région, dont les maris venaient, chaque semaine, du samedi au lundi... Elle guetta les maris, durant leur passage, au Casino, sur la plage, devint coquette, impudente, provocante, elle qui avait en réalité une douce âme tendre de vierge. Mais la mort de l’espoir bouleverse les cœurs, et le besoin de vengeance y crée la plus absolue perversion. Quelques regards, quelques frôlements... il fallut peu de chose pour que la jeune fille atteignit le résultat qu’elle s’était proposé. Un dimanche soir, ses ennemies étaient rassemblées au Casino. Un gamin s’ap procha du groupe et présenta à l’une des dames une petite lettre sournoise. Après l’avoir parcourue, la dame pâlissante, atter rée, brusquement se leva, disparut en coup de vent. Elle se rendit sur la plage, dans les roches, où une amie inconnue la convoquait pour neuf heures précises... Et là, elle aperçut son mari qui se rou lait aux pieds de la jeune fille, affolé par sa coquetterie, par ses abandons, par son par fum... L’homme, dans son délire d’amour, après avoir longtemps imploré, s’offrit le seul régal que voulut bien lui accorder la vierge, la faveur de couvrir de baisers ardents et passionnés tout ce qu’il eût voulu posséder dans l’étreinte suprême, qu’il implorait toujours, mais qu’on lui refusa. Puis, tout à coup, comme l'église d’un village sonnait le quart, on entendit un bruit de pas. Et, brutalement, la jeune fille chassa l’homme, comme un chien. Déjà tombait à ses genoux un nouvel amoureux. Et ce fut la même scène. L’homme, après des caresses et des prières éperdues, voulait posséder celle qui se plaisait à irriter son désir. Mais elle ne lui permit que ces témoignages d’humble et servile passion, qu’elle avait déjà tolérés... l’homme, en une pose de chien affamé, se repaissait de cette nourriture de joie... Et quand la demie sonna, lentement, dans la nuit, il fut lui aussi interrompu, renvoyé sans explications... Et, de quart d’heure en quart d’heure, jusqu’à minuit, les maris des ennemies vinrent tous ainsi se prosterner, deman dant l’aumône d’amour, devant la jeune fille dont on avait détruit la joie, et qui s’en vengeait, en démolissant aussi... Il y eut cette nuit-là, dans les villas et les hôtels, des cris, des hurlements, des ba tailles : il y eut plus tard des séparations, des divorces. Quant à la jeune fille, pen dant quelques jours, on la vit encore sur la plage, au Casino, souriante, dédaigneuse, jouissant de ses revanches, et cherchant dans les regards de ses ennemies les lueurs de courroux, les éclairs de rage et de haine qui lui étaient maintenant doux, bienfai sants, car c’était la proclamation de son triomphe, la signature de sa victoire. BOUGUENAIS....
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
En savoir plus Données de classification - de pontis
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