Extrait du journal

Surtout, me dit mon illustre ami le profes seur Cosinus, ne panachez pas ! —•' Eh quoi ! répondis-je au génial savant, votre puissant cerveau s'incline jusque vers les médio cres élections! Je le croyais résidant sans esprit de retour dans les altières régions de \ï£ science. Je n'aurais jamais présumé qu'il voulut voisiner avec les contingences terrestres. Et voilà que vous me parlez "de panachage, comme s'il s'agis sait de vulgaires haricots. Mon ami, la science est partout, dans i'infi niment grand comme dans l'infiniment petit, et c'est ce qui la rend parfaitement inimitable. C'est elle particulièrement et mes calculs étaient déjà faits depuis longtemps à cet égard qui a permis de fixer les néfastes probabilités du panachage... C'est elle qui, par le jeu mesuré de l'induction et de la déduction, nous permettra de faire tout à l'heure un choix patriotique et judicieux... Mais, je vous le répète, ne panachez pas !... Je vous dirai, cher maître et ami, que je n'eus jamais une telle intention... Je vous en félicite... Le Gaulois a donné, hier, une information puisée aux meilleures sources... Les listes incomplètes sont valables... Voilà qui permet à un électeur trop pointilleux de rayer sur une liste les noms des candidats dont les opinions sont trop opposées à la sienne... Ainsi, moi, savez-vous combien de noms portera la liste que je vais déposer dans l'urne?... Trois, pas davantage... Trois noms seulement!... Etes-vous bien sûr, avec trois noms, de remplir votre devoir?... Mon vote sera scientifique... Et vous en comprendrez toute la portée, quand vous saurez quels 6ont ces trois noms... Les trois noms que portera mon bulletin sont ceux-ci : saint Mamers, saint Pancrace, saint Servais... Je ne pus m'empêcher de lever vers le grand homme un regard écarquillé par la stupéfaction. Son apparente originalité n'est le plus souvent que le masque de sa profondeur. Mais je me demandais si, cette fois, il ne se faisait pas un malin plaisir de me mystifier. Ça n'est pas sérieux! m'écriai-je. Vous n'allez tout de même pas voter pour les saints de glace ?... Si fait... Et mon choix, comme je viens de vous le dire, sera patriotique et judicieux... Ecoutez-moi bien... Oh! avec une attention passionnée!... Supposez que je vote pour la bonne liste, pour celle que recommande le Gaulois... Et après?... Ce ne sera jamais qu'un suffrage, puisque le suffrage d'un homme comme moi a exactement la même valeur que celui d'un élec teur communiste... Ah ! si la R. P. avait eu pour premier objet de rendre les suffrages proportion nels,;... Mais passons.-.. Or, mon suffrage, qui est une unité sans portée, peut avoir, au con traire, une influence immense, si j'intéresse trois saints à la bonne cause... Saisissez-vous?... En aucune façon... Je vous croyais plus perspicace ou plus •entraîné à me suivre dans mes argumentations... Je préciserai donc... Qu'est-ce qui peut produire -le plus d'abstentions? Le beau temps, qui attire trop d'électeurs à la campagne... En votant pour les saints de glace, je les mets dans notre jeu... Je reconnais leur puissance, je me fie et me confie à e11e... En échange de mon suffrage isolé, ils vont en susciter d'autres, innombrables, par le froid et les intempéries qu'ils ne vont pas manquer de déchaîner... Etes-vous éclairé?... Pas tout à fait encore... Car nous gèlerons encore lundi et mardi, alors que cela ne servira plus de rien... En êtes-vous bien sûr?... Je place sur mon bulletin les trois saints par ordre de date: saint Mamers le premier, que l'on fête le. 11 mai... Le voilà en tête de liste... Il en sera très flatté et usera de tout son pouvoir pour nous aider dans nos projets patriotiques... Mais les deux autres s'estimeront, sans doute, désavantagés... Et leur mauvaise humeur nous rendra le beau temps pour le 12 et pour le 13. -Mon ami, je suis une fois de plus obligé de m'incliner devant les admirables ressources de votre génie. J'ai rapporté cet entretien à mon collaborateur et ami Jules Véran. Il m'a dit: Les saints de glace?.,.. Mais leur candi dature n'a pas été déposée en temps utile... Evidemment, l'objection a de la valeur. Adrien Vély...