Extrait du journal

La cause déterminante de l'amour paternel c'est une expansion de l'orgueil dans sa plus noble manifestation. L'importance attribuée à la créature issue de soi est en raison directe de l'importance que l'on se sait avoir, et c'est logique. La paternité, c'est le prolongement du moi dans le temps, la cons cience d'avoir satisfait à la volonté de la race, et cette volonté s'affirme plus impérieusement chez ceux que l'illustration personnelle ou ancestrale met en état de sélection. La conviction de possé der une supériorité sociale de quelque nature qu'elle soit crée donc chez l'homme la conviction de l'importance qu'il y a pour lui à se continuer, et l'enfant qui hérite un nom qu'il a fait glorieux, ou reçu tel, doit lui apparaître particulièrement précieux. Le sentiment aristocratique est un puissant adjuvant de l'amour paternel, et plus spéciale ment peut-être celui de l'aristocratie de nais sance. La responsabilité envers les ancêtres est naturellement plus grande chez qui connaît ses ancêtres ; on a plus de devoirs lorsqu'on appar tient à la mémoire universelle par la célébrité de ses ascendants, et tout devoir crée une force. C'est cette force-là qui se transforme en tendresse chez ceux qui sont dignes de leur passé atavique, lorsqu'ils pressentent que, sous les dentelles d'un berceau, se concentre peut-être un potentiel de gloire, et qu'ils s'émeuvent par avance de la destinée de ce petit individu, héritier d'une filia tion longue, où le sang bien conservé a fixé des tendances continues, plus violemment affirmées dans le héros, le diplomate, le penseur éner gique, qui çà et là ont illustré davantage l'an tique maison. - Et ces impressions acquièrent de l'activité, par réaction, dans une ambiance nettement démo cratique. Dans l'esprit des aristocrates qui accep tent le plus largement la forme politique actuelle, et qui se mêlent avec la plus fervente sincérité au mouvement des idées modernes, persiste l'occulte volonté do préserver ce p,oint d'eux-mêmes qui est le dépôt de toute la race développée dans la conscience de l'exceptionnel et du supérieur. Si dignes qu'ils soient de valoir par le mérite fiersonnel, et d'être « quelqu'un » même s'ils sor aient d'une famille obscure, les aristocrates les plus libres de préjugés gardent cette nuance d'orgueil particulier etlégitime qui les fait s'aper cevoir qu'ils sont différents, justement dans les minutes où les autres se persuadent trop qu'ils sont pareils. L'orgueil aristocratique le bon est le produit des siècles, il faudrait des siècles pour l'effacer, en admettant qu'un état de cons cience aussi profond et justifié par l'accumula tion de faits dans le temps puisse s'effacer. Le jour où naît un enfant dont les ascendants ont été glorieux, il se fait comme un ébranlement du passé connu de sa race, et l'activité dont elle a témoigné semble être remise en mouvement, l'impression n'a pas besoin d'être analysée pour être exaltante et atteindre aux profondeurs émo tives du père....