Extrait du journal

Jusqu'en 1848, notre héros n’a guère été connu qu’au delà du Rhin. A cette époque, un soir qu’il sortait du grand théâtre de Vienne, où il venait de jouer les Hu-‘ grenats, Formes rencontra la révolution dans la rue. Peuple et étudiants faisaient des barricades. Formes fit comme eux; puis, comme on avait éteint les réverbères et que les citoyens demandaient un ralliement dans la nuit, l'artiste sauta sur les débris d’un corps de garde qu’avait broyé l’insurrection et entonna, d’une voix à pulvériser Machanette, la Consigne du Drapeau, hymne patriotique de Lindpaintner. Des troupes arrivent, la fusillade s'engage, on tire sur le chanteur. Celui-ci reste à son poste : les bras croisés, la tête haute, la chevelure au vent, il continue à chanter sous les balles, et le refrain populaire domine le bruit delà bataille, tonne en vibrations graves, écrase de notes formidables mousqueterie, canonnade et cris, massant sous les couleurs nationales les défenseurs de la liberté et sonnant, après le combat, la victoire. Le gouvernement autrichien se garda bien d’oublier cet épisode : à sa rentrée dans la capitale, il mit Formes lions la loi. En allemand, l’individu mis hors la loi s'appelle oiseau libre ; il est libre, en gibet, comme l'oiseau; mais chacun aussi est libre de lui tirer dessus....