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Le Gaulois, 25 mars 1900

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Le Gaulois
25 mars 1900


Extrait du journal

Tout cela m'aurait plu beaucoup si je n'avais été furieuse. Je savais tous les rôles et n'avais pas un mot à dire. La plupart de mes compagnes resplendissaient d'orgueil. Seule, Louise Bugnet pleurait à sanglots. Je la trouvais stupide. « Ja mais cette enfant ne pourra remplir son rôle I s'écria la supérieure. —Oh 1 non ! non ! je ne pourrai pas 1 sanglotait ma petite amie. Je ne pourrais pas! » Ce fut un désarroi général. Alors, une joie sauvage fit bondir mon cœur d'en fant. Le sang me bouillonne aux tempes. Je m'élançai de l'estrade ! et, debout sur un banc : «Ma mèré ! ma mère ! je sais le rôle I Voulez-vous que je le joue? » Tout le monde me regardait. J'étais tremblante, mais courageuse ; je savais, le. rôle, j'étais sûre Je moi. Mére Sainte-Sophie, supérieure du cou vent, créature adorée souvenir de mon enfance me répondit : « Eh bien, mon enfant, viens me le répéter ». Je relevai mon indomptable' cheve lure, et je répétai, haletante et hardie, le rôle de l'ange conducteur. Et quand j'eus fini: « Voilà ! » tn'écriai-je. Mes compagnes riaient, les Sœurs souriaient, Bt, très encouragée, je montai sur la petite esIrade. La répétition commença : « Ça ira, ça ira », me.disait-on. J'étais très fière et pourtant j'avais peur de n'être pas assez bien. La répétition finie, on sonna le déjeuner. Mon estomac serré, ma gorge étranglée me refusaient tout service. Que de fois, depuis, j'ai ressenti cette angoisse physique I Il y avait sur la table un « extra », une crème renversée dont j'étais très friande, maisjene pou vais pas avaler. Je regardais, troublée, les élèves, qui regarderaient, qui écouteraient. Elles man geaient et riaient. Louise Bugnet prit ma part de crème renversée. « Tiens! tu prends mon rôle, je peux bien manger ta crème!» Je me pris à pleurer, car j'aimais la crème. Fort heureuse ment, Sœur Sainte-Marie vint me chercher pour m'habiller. On me conduisit dans la grande salle du comité. Cette pièce, un peu mystérieuse pour une imagination d'enfant, m'était inconnue. J'y entrai, frissonnante, croyant entendre par ler tous ces règlements qu'on y discutait deux fois par mois. On avait apporté une glace, la seule que j'aie jamais vue dans le couvent, et qui ap partenait au père Larcher, jardinier du couvent, le seul homme qui avait son entrée dans la mai son. La glace était trop petite, entourée d'un cadre én chêne, avec un., oiseau sculpté au-dessus ; le tain avait disparu par plaques, et partout des pi qûres nombreuses en altéraient la transparence. Les religieuses s'en tenaient éloignées comme d'un danger, leur voile noir baissé sur le voile de crêpe blanc. Sœur tourièr-e, la seule du couvent qui ne fût pas cloîtrée, à cause de sa continuelle Sromiscuité avec les fournisseurs, était chargée e nous habiller. On me mit une robe blanche, très longue, avec de grandes manches. On m'at tacha deux jolies ailes également blanches. Ma chevelure, très frisée, fut nouée sur mon front par un lacet d'or. Oh t que mon cœur d'enfant battait, mon Dieu!...

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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