Extrait du journal
La rue Pierre-Curie est une de ces artères pleines de recueillement et qui font songer à ce vers de Rodenbach : On croirait tout à coup qu'on habite une cure... De&, échafaudages entourent présentement, le nouveau pavillon qu'on est en train d'achever et qui permettra à l'institut du Radium de s'étendre quelque peu. Cet Institut du Radium, dans lequel Mme Curie a ses laboratoires, fut construit aux envi rons de 1911, mais il ne commença à fonctionner réellement que dans le premier trimestre de 1919. Les deux pavillons, séparés par un jardinet, ont un aspect plein de mystère. On sent qu'il doit se passer quelque chose de grave et d'im portant derrière ces murs silencieux. C'est le jardin secret de la science. Dans le pavillon de gauche, les salles d'études, les laboratoires et la salle des mesures. Un écri teau avertit les personnes qui viennent d'en face, où se fait le traitement par le radium, qu'il est nécessaire de « s'aérer » soigneusement avant d'entrer. Un second écriteau prêche l'économie du mobilier. Le directeur de l'lnstitut, le docteur Regaud, dont la. barbe s'argente de quelques fils blancs, est un savant courtois et précis: Nous hommes un peu à l'étroit dans ce local, me confesse le médecin. Une vingtaine de docteurs travaillent ici, et il est souhaitable, dans l'intérêt de nos recherches, que nous puis sions évoluer plus à l'aise. Je pense que cela va se produire quand le bâtiment annexe sera achevé. » Les études sur le radium, considéré il y a vingt-cinq ans comme une simple curiosité, se développent de jour en jour. Aujourd'hui, tous les espoirs thérapeutiques sont permis... Vous dites « espoirs », docteur, et non cer titude... Hélas ! rien ne nous autorise encore à affir mer que les premiers résultats acquis sont défi nitifs. Nous n'avons point le droit, avant le contrôle des ans, de garantir l'efficacité du trai tement appliqué aux cancéreux. Nous luttons encore présentement contre toutes sortes de diffi cultés scientifiques et matérielles. Un véritable savant se fait toujours un scru pule d'annoncer une victoire sur la maladie tant que le doute peut encore subsister. Le docteur Regaud, comme on voit, conserve toute la modestie des hommes de science, qui ne s'inclinent que devant les résultats indiscu tables. Au moment de regagner son laboratoire, il me permet dé continuer ma visite sous la conduite de l'aimable docteur Farroux. Nous pénétrons ainsi dans les diverses salles où l'on étudie les fragments de tumeur sectionnée. Voici la petite « ménagerie » de l'lnstitut. Dans de nombreuses cages sont rangés lapins, rats et cobayes qui servent aux expériences scientifiques. Quelqtles-uns de ces animaux sont en observation. Voici la salle où l'on applique les rayons X. Une infirmière surveille l'action de la mysté rieuse ampoule, protégée elle-même par un para vent recouvert d'une couche de plomb. Car les émanations du radium et des rayons X, s'atta quant aux tissus vivants, .peuvent être, selon les cas, utiles ou nocifs. Sur une chaise longue est étendue une jeune patiente, les yeux bandés, et qui est soumise au traitement. Des étincelles crépitent par moments et on sent passer dans la pénombre un peu lourde de la chambre toute l'angoisse de la lutte contre le mal rongeur. Cette valétudinaire immobile n'est-elle pas le symbole de l'humanité souffrante qui attend la guérison par les rayons de la science ? Mais j'ai voulu voir de près le métal fabuleux : le radium, dont tout le monde parle aujourd'hui à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire. Pour garder ces richesses médicales, l'lnstitut possède des coffres-forts blindés et protégés par une couche de plomb qui arrête l'action corro sive du radium. Me voici devant le réceptacle. Le radium! Ce mot magique évoque à l'esprit des foules un produit d'une «beauté» et d'une rareté fabu leuses et possédant toutes les vertus que l'on attribuait naguère à la baguette des fées. Quand les battants de l'armoire s'ouvrent, il n'y a là qu'un bocal dans lequel trempe quelque chose de gris: la solution de bromure qui vaut 600,000 francs. Et, à la lueur des lampes électriques, on contemple tout de même, avec une curiosité un peu déçue, ce prestigieux talisman qui, malgré son apparence incolore, voit converger vers lui tous les espoirs parce qu'il contient le feu sacré qui doit tout purifier. Raoul Viterbo...
À propos
Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.
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