Extrait du journal

On a fait un crime à Napoléon de son ambition : si c’est là son crime aux yeux de l’Europe, c’est son excuse aux yeux de la France. Sans son ambition, c’est-à-dire sans son action extérieure, sans ses con quêtes, sans son éclat militaire, sans cet ascendant et cette fascination immense qu'il exerçait sur tous les esprits. Napoléon n’eût été qu’un tyran. On subissait, il est vrai, la servitude avec lui, mais on n’avait pas le temps de la réfléchir ; l'es clave disparaissait dans la grandeur et dans l’activité du maitre ; on était séduit, enivré, emporté ; le Français ne vivait plus à Paris, il vivait au milieu des camps, non plus citoyen, mais soldat. D’autres ont gouverné par des assemblées, — Napoléon gouverna par des victoires ; une bataille gagnée lui valait un vote: sa tribune était à Marengo. à Aus terlitz, à Friedland, à Wagram, — et sa majorité se décidait avec son épée. Pour ne pas être une honte, il fallait que ce gouvernement fût une guerre et un triomphe continus : Otez, en effet, le conquérant, il n’y a plus qu’un despote; ôtez César, il n’y aura bientôt qu’un Tibère. Disons-le à la décharge de Napo léon : le despotisme était son moyen, non son but ; le rôle ignoble et bas d’oppresseur taciturne et de bour reau de la liberté n’allait point à son génie ; le génie emprunte la liberté plus encore qu’il ne la prend ; il ne la prend, du moins, que pour s’en servir. Le héros 'de l'Egypte et de l’Italie avait une trop haute idée de lui-même et de sa mission pour se faire le geôlier d’un peuple ; le des potisme pour le despotisme n’est que l’ambition des âmes lâches et des intelligences subalternes. Aussi rien n’était-il moins dynastique que Napoléon et moins héréditaire, au fond, que son pouvoir : Si j'avais été mon petit-fils, s’écriait-il à SainteHélène, je serais encore sur le trône ! Il oubliait que la victoire et la for tune n’ont pas de petit-fils; elles conquèrent le monde , comme Alexandre, mais elles meurent sans héritier, comme lui, à Babylone. Les dynasties ne subsistent que parce qu elles sont une institution et une habitude, — et rien n’était moins l’une et l’autre que Napoléon. Vovezle : il change et renouvelle tout, il fait tout par lui-même, il se met à la place de tout, même du peuple ; il est absolu, personnel, inflexible ....