Extrait du journal

Les bourgeois de Paris ont consacré la fournée d'hier et celle d'aujourd'hui à se voir passer réciproquement tout le long des boulevards et des Champs-Elysées par un temps magnifique, bien'que frais. Des groupes patients stationnaientaquelques carrefours, attendant le cortège du bœuf gras, et ce maigre spectacle a été la seule distraction de ces jours gras. Ils n'en feront ni plus ni moins demain mardi, et le carnaval sera mort comme il a vécu, honnêtement et sans bruit il n'en restera qu'un peu de cendre, et les fronts chrétiens pourront se la partager sans 0 civilisation, voilà encore un de tes bienfaits. Il y a vingt ans, vingt-cinq ans au plus, la moitié des habitants de la ville et -des faubourgs perdait pendant ces trois jours tout sentiment de dignité et de bienséance dès l'après-midi, deux interminables files de véhicules de toutes formes, calèches, berlines, fiacres et tapissières, s'établissaient comme autant de loges ambulantes des deux côtés de la voie, depuis la Madeleine jusqu'à la Bastille tout ce qui avait deux roues ou quatre pieds ferrés était mis en réquisition le milieu de la chaussée appartenait de droit aux équipages à quatre ou à six chevaux, à ceux du corps diplomatique, des pairs de France et aux municipaux qui avaient grand peine à régulariser le désordre. La foule envahissait les trottoirs se pressant à s'étouffer, s'agitant sans avancer, s'écrasant sans se plaindre et achetant par bien des souffrances les joies grossières dont elle se régalait c'étaient des cris, des chants, des quolibets, des gros mots, des ordures, un engueulement général, le mot était admis, un vacarme à en perdre t'esprit et la respiration....