Extrait du journal

DERNIÈRE ÉDITION Quelle émotion ! J'ai beaucoup parcouru le monde et j'espère avoir beaucoup retenu, pour être d'accord avec le précepte du fabuliste. Conséquence de ces pérégrinations qui vous rompent un homme à toutes les surprises, j'ai pris l'habitude de rester coi dans maintes circonstances de la vie et de m'émouvoir difficilement. ;• •«, Eh bien, chers lecteurs, million de lecteurs, million aujourd'hui bien établi, aussi'cônstant, aussi quotidien qu'authen tique, — les livres sont là et le bataillon des peintres en lettres va ces jours-ci courir sus aux célèbres affiches bleues pour y inscrire le chiffre triomphal, — j'avoue que'lorsque le directeur du Petit Tournai m'a demandé d'ébaucher ici de temps en temps, à la première page quelques légères esquisses (c'est tout ce que je saurai faire), une fameuse émo tion s'est emparée de mon individu. Ecrire dans un journal quelconque, mon Dieu, ça ne doit pas être une affaire pour un homme qui est du métier. On a toujours tôt fait, je suppose.de bâtir un article qui plaise à la clientèle du journal, composée de quelques milliers d'ache teurs. Dès qu'on écrit pour cent mille exemplaires, on sort déjà de l'ordinaire. Mais tremper sa plume dans l'encrier et la piquer sur le papier en se disant qu'on va écrire pour un million d'ache teurs, c'est-à-dire au bas mot pour trois millions de lecteurs, ma foi, c'est vif! 11 ne s'agit pas là d'une clientèle parti culière, d'un public spécial. Le Petit Journal est, à l'heure actuelle, le journal de dix clientèles différentes, de dix pu blics divers; à vrai dire il est devenu par la force de son succès toujours croissant, le journal de toutes les clientèles et de tous les publics. Ce Petit Journal, que j'ai trouvé, que j'ai acheté et lu partout sur ma route, mais partout, dans mes zigzags à tra vers le monde, ne s'adresse pas à « un pu blic ». Il s'adresse « au public ». C'est autre chose, et quelque chose de trou blant pour l'écrivain qui se trouve face à face avec ce monstre charmant pour la première fois. -*** Plairai-je à ceux-ci? Déplairai-je à ceux-là? N'irai-je pas contre les tendan ces de tels et tels? Autant de questions qui m'interloquent au premier moment. A vrai dire, la partie dont on veut bien me charger ne comportera guère de discussions passionnées. A côté de mes deux collaborateurs Thomas Grimm et Tristan, qui traitent tous deux les graves questions d'écono mie et de politique, j'essaierai de tracer des croquis légers, de faire parler le bon sens dans les questions plus frivoles de notre vie parisienne. Ces essais paraî tront uri peu grêles, je m'en doute, aux esprits sévères ; mais les tempéraments gais m'en sauront gré. C'est toujours la même déférence du journal pour les dé sirs multiples du public à trois millions de têtes. Il en faut pour tous les goûts: Toutefois, il n'est pas si mince théorie qui, risquée dans un journal comme ce lui-ci, ne prête à la controverse. Quand trois millions de personnes vous lisent tous les matins et réfléchissent sur une de vos idées, il y a des chances pour que...