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Le Petit Marseillais, 12 juin 1910

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Le Petit Marseillais
12 juin 1910


Extrait du journal

Il a été longtemps de tradition cons tante que, après une consultation natio nale (ne riez pas trop fort, de peur de réveiller le bon sens), le ministère en fonction remit sa démission aux mains du président de la République. Ce pro cédé, parfois de pure forme, était telle ment dans les habitudes, que WaldeckRousseau lui-même crut devoir s’y con former, bien que les élections, qu’il avait dirigées, lui eussent donné une approba tion incontestée. Ce n'est pas, à la vérité, ce qu’il fit de mieux, puisqu’il laissa en s’en allant, au liane de la République, cette flèche du Parthe que fut le ministère Coml>es et dont la blessure saigne encore abondam ment. Quoi qu’il en soit, le cabinet Rriand xi a pas hésité à déroger à l’usage et il s’est présenté devant les Chambres comme si de rien n’était. Et de rien n’est en effet. Seul, le président de la Républi que pourrait se plaindre qu’on néglige nn peu le droit d’appréciation qui lui appartient. Mais vous connaissez M. Pallières, c’est un homme modeste et qui ne souffle mot. Nous autres, nous ne sommes pas autrement, fâchés du maintien d’un •ministère qui n’est évidemment, pas celui de nos rêVes, mais dont nous ne distin guons pas le remplaçant sympathique. Et nous nous rangeons de plus en plus du côté du pro\orbe qui dit que lors qu’on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l'on a. Nous aimerons donc Briand, et il faut lui rendre cette justice que ce ne sera pas sa faute s’il n’est pas aimé par tout le monde, car, dans sa longue décla ration, il essaie de contenter tout le monde, sauf son père, dont il ne veut plus entendre parler, et qui le lui rend bien. Il y a de tout dans cette déclaration. C est la marmite des halles, où chacun peut planter sa fourchette dans l’espoir lie retirer un bon morceau. Les amis de la liberté y trouveront qu’ils continueront à être aussi libres qu'au paravent, ce qui leur fera grand plaisir eu leur apprenant qu’ila étaient libres, ce dont ils ne se doutaient nullement ; les amis de la jus tice y prendront l’assurance qu'on obéira désormais au suffrage universel, qui aurait dit, paraît-il, que l’égalité de trai tement des gens ne devait pas dépendre des fluctuations politiques. Le suffrage uni verse1 n’a rien dit de pareil ; mais il l’aurait probablement dit, s'il avait pu dire quoi que ce soit, et c’est exactement la même chose. Après avoir contenté les amis de la liberté et de la justice, Briand a réfléchi qu’ils n'étaient peul-êire pas assez nom breux pour constituer une majorité, et il a ajouté dans la marmite, à l’usage des autres, que la République s’efforcera d’être de plus en plus fiscale et laïque, ce qui, on français courant, signifie que les impôts augmenteront (on les appelle ressources, le mot semblant plus ano din), sans, bien entendu, embêter •personne. et qu’on empêchera toute concur rence aux écoles du gouvernement sans, pour cela (ô grand Dieu, non 1) toucher aucunement à la liberté de l’enseigne ment. Sachant ce que parler veut dire et ce qu’il y a sous les mots, les combistes ont daigné sourire à ces dernières promes ses ; mais un ne croit pas qu’elles suffi sent à calmer l'irritai ion que les premiè res assurances avaient jetée dans leurs rangs. On ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu, et parler de liberté et de justice dans ce bloc, c’est lancer un chien dans une basse-cour : toutes les volailles s’enfuient effarées. « Si l’on se met à être équitable et libé ral, nous n’avons plus rien à faire ici, disent nos sectaires. Autant nous jeter à la porte. » Cependant comme, tout bien considéré, ils préfèrent encore rester en place, ils se sont gentiment pourléchés en entendant le gouvernement leur pro mettre que le vote de la réforme électo rale n’auraitmillement pour conséquence de mettre un terme à leur mandat, et qu'ils avaient quatre ans devant eux pour nous faire enrager. Ils en ont pleuré de tendresse et l'on assure que cette concession a fait au pouvoir bien des amis. Jaurès n'en a pas moins résumé par faitement la situation, en disant que nous allions assister à la lutte des petites mares stagnantes d’arrondissement et de la grande mare non moins stagnante du gouvernement ; il ajoute que tout cela n’aura rien de torrentiel. Et c’est bien mon opinion. Chacun ayant extrait son morceau de la marmite, va se mettre à le ronger de son mieux. Renverser la marmite, ce serait une grosse affaire. Les farouches y pensent et se réunissent en ce moment pour en délibérer. Mais ces farouches ne sont, pas seulement, farouches, ils sont avisés. Faut-il, dans l espoir du tout, sacrifier quelque chose ? Et si l’on n’avait rien ? La lutte des petites mares et de la grande mare peut se terminer de deux façons : ou les petites se perdront dans la grande, qui les dévorera, ou ce sera nu contraire la grande qui reformera une nouvelle quantité de petites. Mais l’eau sera la môme, et cela ne sentira Das moins mauvais....

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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