Extrait du journal
Vessies et Lanternes Un Français qui, ne s’occupant point de politique,a pu,faute de mieux,conser ver quelques lueurs de bon sens, lisait, par hasard, le journal d’avant-hier, quand il fut frappé par les termes de l’or dre du jour de confiance. « Pourquoi,me demanda-t-il, ces mots: « repoussant toute addition ? » Il ne s’agit point du budget. Qu’ont a faire là-dedans les additions, non plus que les soustrac tions ou les multiplications ? Qu’est-ce qu’on additionne ? — Vous n’y êtes, répondis-je, pas du tout. Il ne s’agit pas d’opération arith métique. Gela signifie tout simplement que la Chambre s’oppose à ce qu'on ajoute quoi que ce soit à son ordre du jour. C’est une formule que vous trouve rez dans tous les autres comme dans celui-là. — Je comprends, dit-il, de moins en moins. — C’est donc comme si vous assistiez à une délibération. — Il me semble que personne autre que la Chambre ne peut ajouter quoi que ce soit à son ordre du jour. — Rien n’est plus certain. — Ah ! elle est bien libre d’y ajouter ou de n’y pas ajouter. Pourquoi s’engaget-elle d’avance ? C’est aussi bête que si je disais : « Je ne boirai pas demain matin à neuf heures. » Est-ce que je peux savoir aujourd’hui si j’aurai soif, et si je n’ai pas soif, ne serai-je pas à temps demain pour ne pas boire ? — Elle est aussi bête, en effet ; c’est pourquoi cela est parlementaire. Pour suivez la lecture de votre journal, vous y verrez que la même Chambre s’est engagée à discuter la réforme électorale à la rentrée d’octobre. C’est à cette rentrée qu’elle fixera la marche de ce qu’elle veut bien appeler ses travaux et de ce que le public appelle ses drôleries. Ce à quoi elle s’engage aujourd’hui ne l’engage donc absolument à rien, mais cela, comme on dit, fait bien dans le paysage. — C’est, en effet, toujours la même chose. C’est exactement comme si je me promettais à moi-même de faire ceci ou cela au mois d’octobre. On comprend qu’on s’engage envers une tierce per sonne ; mais un engagement qu'on prend avec soi-même est bien inutile,puisqu'on peut le rompre à son gré. — On le rompt même toujours ; et si vous étiez assez infortuné pour vous inté resser à la politique, en feuilletant la col lectionnes feuilles publiques, vous pour riez constater qu’il n’y a peut-être pas un exemple qu’une Chambre ait tenu un de ses engagements. — Jamais elle n’a fait au jour dit ce qu’elle avait résolu de faire. — Au grand jamais. — Ainsi la promesse de discuter la réforme électorale à la rentrée ? — Autant en emportera la vent. Et tous les députes le savent parfaitement. — Ne feraient-ils pas mieux de ne rien dire ? — Eh, non, ils ne feraient pas mieux. N'avez-vous pas connu de ces étudiants qui n’étudiaient pas, mais qui, de temps en temps, fixant les yeux sur le calen drier, se disent: C’est aujourd’hui mardi, on ne peut pas commencer à travailler un mardi, mais lundi prochain, je jure que je me mettrai à la besogne. Au fond de leur conscience, ils ne croient pas beaucoup à ce lundi, en ayant déjà éprouvé quelques-uns ; mais cette idée leur donne tout de même courage ; et puis,ils disent à leurs camarades : « Vous savez, à partir de lundi, je travaille. » — « Il paraîtrait qu’il travaille à partir de lundi », disent ceux-ci. Et aux yeux de quelques-uns,il passe pour un laborieux. — J’entends. Les électeurs vont se dire : « Il paraîtrait qu’ils vont nous don ner la réforme électorale. » Cela les fera patienter. — Cette fois, vous y êtes. Supposons que vous ayez besoin de vingt francs. Celui à qui vous les demandez vous dit : « Je ne peux pas vous les donner aujour d’hui, mais comme je vous les donnerai un autre jour, c’est exactement comme si vous les aviez. Imaginez-vous que vous les avez, et vous serez très content. » Ainsi font les électeurs : ils s’imaginent et ils sont très contents. — Pourtant, ils ne les ont pas.— Ils ne les ont pas, et ils ne les auront même jamais. Seulement l’homme au sonnet avait tort qui disait à la belle Philis qu’on désespérait alors qu’on espérait toujours. Il ne connaissait pas le corps électoral. Le corps électoral ne désespère jamais. Vous connaissez bien l’anecdote du père Dumas, chez qui un de ses amis retrouva sur la cheminée trois francs qu’il y avait vus quinze jours aupara vant. « Comment, tu as encore ces trois francs ?— Si je les dépensais, dit Dumas, avec quoi vivrais-je ? » — Avec quoi vivrait la Chambre si elle exécutait ses promesses ? Ce ne seraient plus des pro messes, ce seraient des réalités. Et l’on sait que les Chambres ne vivent pas de ce pain-là. — N’y a-t-il pas dans Gulliver un peu ple qui se nourrit de vent contenu dans dea outres ?...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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