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Le Petit Marseillais, 19 juillet 1899

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Le Petit Marseillais
19 juillet 1899


Extrait du journal

ticiers du monde et nous étions fiers de notre patrie I — Je me souviens. J’étais aux avantpostes par les rudes matinées d’hiver de l’année terrible. La neige dure, cette neige d’où le génie de Falguière fit, un jour, sortir une statue, craquait sous les pas. Uh silence sinistre dans la demi-obscurité que rayait seule ment le passage, encore visible, des falots vacillants, et de grandes ombres dessinant tout à coup la silhouette d'un officier à cheval, dans son grand manteau. Mon sybaritisme d’omcier, à moi, consistait en une .botte de paille sous un tente basse. Mais on vivait alors d'une telle fièvre que rarement la fatigue parvenait à m’y endormir. Debout, parmi les hommes couchés, j’attendais, les yeux sur l’horizon, la première raie blanche qui annonce le jour, avec une lassitude horrible de la nuit dans les jambes et sous le front. Cette bande crépusculaire avait pour premier effet, de tracer en noir le Êrofil du Mont-Valérierç. sur le ciel. ientôt la forteresse qui le surmonte apparaissait comme un grand lion couché. Et comme si le monstre se mettait tout à coup à respirer, une bouffée de fumée montait, soudain, de ses imaginaires naseaux, que suivait un sourd mugissement. — C’était le premier coup de canon de la journée , celui qui annonçait la reprise de l’interminable combat d’ar tillerie qui durait déià depuis des mois. Comme une cloche semble réveiller toutes les autres, aux jours de fêtes carillonnées, il donnait le signal à toutes les batteries ennemies. De tous les points de l’horizon des coups lui répondaient et quand l’au rore venue allumait une rampe de pourpre à l’Orient, de petits nuages colorés comme des pétales de rose plus comparables encore à des vapeurs de sang, couraient là où la poudre avait déchaîné ses tonnerres. Et nous prêtions l’oreille. On nous disait toujours que le bruit du canon viendrait encore de plus loin, quand s’approcherait l’armée de secours tant attendue. Car nous étions pleins d’es pérance et pleins de foil Oh! ces matins de 1 hiver du siège, avec le visage cinglé do givre , on face de celte colline qui disait l’heure avec son grondement monotone, l’heure toujours pareille où ne résonnait jamais le tintement joyeux de la déli vrance! — Je me souviens : Oh ! la terrible journée de soleil sur la place de ’Hôtel-de-Ville et sur le parvis de Notre-Dame ! Nous marchions entre deux haies profondes et recueillies, sous l’innombrable regard des fenê tres où palpitaient à peine, dans l’air sourd, des drapeaux voilés de noir, aux sons de marches funèbres s'exhalan en sinistres volées de cuivre. Et no s marchions depuis des heures qu le canon ne s’était pas tu, le canon rythmique, oppressif de toutes les pouiines, sonnant, dans tous les cœurs le glas de la douleur, publique, mesurant dans l’air les sanglots do Paris et de la France qui pleuraient, ce jour-là, le citoyen modèle, le républicain sans tache, le président Carnot... Oui, c’est de tous ces souvenirs qu’est faite l’émotion irrésistible que soulève en moi la voix du canon. Un homme a rêvé, à la fin de ce siècle, de lui imposer silence à jamais, le souverain mélancolique et doux qui vient do jeter, par le monde civilisé — ou passant pour tel, — un grand et beau cri de fraternité. On sait comment il fut entendu en Allemagne et quejes Anglais,dont l’odieux semble le métier, y répondirent en fondant de nouvelles balles dum-dum. Ce sera l’honneur de la France d’avoir apporté au plato nique congrès international réuni à celle occasion, le summum des soucis d’humanité et des désirs do progrès pacifique qu’il lui était 'possible do...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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