Extrait du journal
Vieux Serviteurs ÎVoici qui forme un heureux contraste fcvec l’affaire Renard ou les autres abo minables histoires de ce genre. La So ciété d’encouragement au bien vient de découvrir un petit lot de vieux serviiteurs demeurés plus de quarante ans dans la même maison et, pour la rareté du fait, elle leur a décerné des médailles d’honneur. Eût-on cru qu’il y avait de -ces parfaits domestiques, finissant, à la vérité, par faire partie de la famille, ail leurs que dans l’ancien répertoire du ^Gymnase, dans quelques romans de Bal zac ou dans La joie fait peur ? On a été ibien aise (encore que la surprise domi nât) d’apprendre que la réalité offrait de semblables exemples. . Un ironiste racontait, récemment, «d’une façon si plaisante l’histoire du Caleb de Walter Scott, arrangée au goût du jour ! Caleb, çe modèle du dévouement, assiste à la ruine du jeune seigneur qu’il a vu naître, abandonné par tout le inonde, dans sa détresse. Lui seul conti nue à s’empresser autour du malheu reux. — Mon bon Caleb, lui dit celui-ci, toi, üou moins, tu me restes fidèle... Caleb semble blessé qu’on ait pu douler de lui, et il répond avec dignité : — Je sais où est mon devoir... Tant t[ue monsieur, sur le peu dont il dispose A présent, aura encore de quoi me payer unes gages, monsieur peut être certain •qu’il me trouvera auprès de lui... Mais, en vérité, il me semble qu’on Aurait pu aussi accorder une médaille aux maîtres de ces serviteurs ennemis du changement. Un bail de cette durée fait l’éloge des uns et des autres et atteste une patience réciproque, car, pour s’en tendre pendant tant d’années, il faut que chacun, comme on dit familièrement, y ait mis du sien et ait pratiqué la grande vertu de l’indulgence. C’est sans doute la clef de ce problème qu’on a appelé la crise des domestiques, grand sujet de conversation des maîtres ses de maison, qui se plaignent de ne pouvoir garder personne à leur service et se répandent en doléances sur la mobi lité d’humeur du personnel qu’elles em ploient. Il faut toujours se souvenir du mot de Beaumarchais et des qualités, dont ils seraient eux-mêmes incapables, qu’exigent les maîtres. En beaucoup de cas, s’ils avaient plus de ménagements pour leurs serviteurs, ceux-ci en auraient Aussi pour eux.; On part, le plus souvent, dans les rap ports avec les domestiques, d’une vieille idée de domination et de droits excessifs, au lieu de considérer la situation dans sa réalité positive : un contrat d’après lequel l’employé donne une partie de son temps à l’employeur, sans abdiquer pour cela sa personnalité. De cette per sonnalité, beaucoup de gens ne font au cun cas et en viennent à croire de bonne foi que le serviteur leur appartient com plètement. De là un conflit latent, même quand ils le traitent avec douceur, mais non sans risquer de l’humilier. En réa lité, sur une petite ou sur une grande échelle, l’art de commander est toujours difficile et réclame un peu de psycholo gie. « Celui qui fait le geste d’ordonner, dit un vieux proverbe, laisse voir ses défauts sous l’aisselle. » Ils sont rares ceux qui veulent bien songer que le do mestique observe, lui aussi, réfléchit et est prompt à se rendre compte de ce qui n’est pas juste : la nécessité le forcera souvent à dissimuler ses sentiments. La grande erreur, c’est d’y être indifférent. Le payer régulièrement n’est pas tout, et les difficultés naissent généralement de ce qu’on a fait complètement abstraction •de son être moral. Qui songe couram ment, dans la pratique de la vie, à ce que ses fonctions doivent fatalement éveiller chez lui de susceptibilité, qu’il faudra, prévenir ? C’est quand il cesse de les éprouver, ces susceptibilités qu’il de vient le mauvais serviteur, ne pensant plus qu’à ses intérêts immédiats, au dé triment de ceux du « maître », mot d’ail leurs suranné et qui ne correspond plus à l’état des mœurs. II y a donc, évidemment, toute une 'bohème de domestiques, qui sont un peu des ennemis qu’on introduit chez soi, insolents ou sournois, n’ayant plus guère de conscience, ne tenant même guère à rester en place, n’acceptant pas de re proches mérités, paraissant se plaire à «e rendre insupportables. Mais il fau drait savoir si, à l’origine, l’égoïsme de ceux qu’ils servirent ne les a pas décou ragés et aigris, au point qu’ils se sont fait une opinion générale et qu’ils sont devenus pour ainsi dire incapables de discerner les maisons où on serait dis posé à avoir quelques égards pour eux. Les maîtres ne veulent pas se donner la peine de comprendre qu’ils arrivent chez eux avec de vieux griefs, prêts à faire •expier ce qu’ils ont naguère souffert ail leurs. Les serviteurs que la Société d’encouTagement au bien a récompensés consti tuent évidemment, aujourd’hui, d’hono rables exceptions par leur long attache ment à la même famille ; mais il faut bien avouer, dans un esprit d’équité, qu’il y a d’anciennes fautes bourgeoises qui se payent. Que fait-on, générale ment, pour intéresser les domestiques à la maison, et la sollicitude même qu’on leur accorde, d’aventure, ne reste-t-elle pas un peu dédaigneuse ? Qui se de mande sincèrement quelles raisons ils pourraient avoir d’une affection qu’on...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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