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Le Petit Marseillais, 28 septembre 1922

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Le Petit Marseillais
28 septembre 1922


Extrait du journal

« J’assistais à cette entrée, nous dit un officier de marine français. Les troupes avaient une tenue parfaitement correcte, l’arme à la bretelle. Un régiment d’urtillerie défilait avec un petit drapeau turc sur chacune de ses pièces, sauf celle du milieu qui portait un petit drapeau français. Officiers et soldats nous saluaient et cer tains criaient : « Vive la France I » Au passage dans le quartier arménien, des coups de fusil furent tirés sur les soldats turcs. Après avoir essuyé le feu à deux ou trois reprises, ils ripostèrent. Plus loin, toujours de maisons arméniennes, on leur lança des grenades. Ils se défendirent. Il y eut des morts et des blessés. » Le drame qui s’annonçait allait prendre de l’ampleur brutalement. L’incendie éclate formidable Soudain, le 13 au matin, à 11 heures, un incendie éclatait dans le quartier armé nien. Le vent qui soufflait très foit du Sud lui donnait une rapide extension. Puis, dans l’après-midi, un second, un troisième foyer se révélaient, attestant l’exécution d’un plan méthodique. Le fléau bientôt faisait rage. Le vent tournait et après avoir soufflé parallèle ment au quai, se rabattait perpendiculaire ment à celui-ci. Les quartiers arménien, grec, français, anglais, maltais devenaient un prodigieux brasier. Sur un kilomètre et demi de front, le long de la mer et plus d’un kilomètre en profondeur, les flammes dévoraient les plus beaux immeubles, les magasins les plus achalandés : la richesse de Smyrne. Ce fut alors, dans la nuit, l’indicible horreur. Soixante, soixante-dix ou quatre vingt mille individus, on ne sait, s’étaient, en une ruée atroce de peur et de désespoir, accumulés sur le quai. Malheur à qui était foulé aux pieds ou poussé à la mer : c’était l’écrasement ou la noyade. A la chaleur de fournaise s’ajoutait l’explo sion des munitions cachées et des réser voirs d’essence. Les flammes géantes s’échçvelaient dans le vent. En une pluie de feu, les flammèches retombaient sur les infortunés qui, coincés les uns contre les autres, ne pouvaient s’y soustraire. Les ballots de leurs hardes s’incendiaient. Des mahonnes chargées de foin et qu’avaient prises d’assaut des fuyarde s’embrasaient et partaient à la dérive en brûlots humains. Et de toute cette humanité mon tait, faite de sanglots, de cris de douleur, d’appels à la vie, une déchirante, une hallucinante clameur de géhenne qui s’entendait jusqu’à deux, kilomètres à bord des vaisseaux. Tout ce dont notre esfcadre disposait en canots et chaloupes faisait la navette entre le quai, en face du consulat de France, et les cuirassés, pendant que les marins des compagnies de débarquement qui, depuis une semaine assuraient la protection des, établissements de nos nationaux, s’em ployaient à la tâche surhumaine de conte nir et de canaliser une foule délirante et de l’empêcher d’envahir les embarcations et de les submerger. « Si nos homme l’avaient voulu, me disait un de leurs officiers, ils auraient pu faire des fortunes. J’ai vu de mes yeux, des femmes de la classe riche de Smyrne, leur tendre les mains pleines de bagues, de colliers, de joyaux précieux, les leur offrir en échange... d’un tour de fa veur d’embarquement, les supplier en râlant de détresse : « Prenez, prenez ! sau te vez-moi ! » Toute la nuit et le lendemain et les jours suivants, sans une heure de répit, nos marins se donnèrent corps et âme à ce devoir épuisant. Ils ont maintenu la noble tradition de notre marine et servi l’in fluence de la France magnifiquement. A travers Us ruines Nul récit de témoin oculaire ne nous avait donné le sentiment du désastre comme nous l’avons éprouvé après que, avec l’aide de camp de l'amiral, le lieute nant de vaisseau de Larosière et escorté de fusiliers marins, nous avons parcouru les lieux dévastés par la flamme... Des pans de mur en équilibre instable, des façades incurvées et craquelées prêtes à l’écroule ment, des écheveaux de fils télégraphiques et téléphoniques traînant dans les gravats et les débris de mille sortes qui jonchent et exhaussent le sol, des flaques d’eau produi tes par la rupture des canalisations, des quantités de carcasses d’automobiles, tel est le spectacle qui s’offre au regard, sur deux cent cinquante hectares, exception faite de quelques immeubles épargnés par le caprice du feu. Sur les ruines, mêlée à la fumée des foyers qui couvent encore, flotte une odeur écœurante de chairs putré fiées et carbonisées, et tourbillonnent des essaims de mouches. Ici, c’était la fameuse rue Franque, la grande artère bruissante du commerce, de l’industrie. Elle n’est plus qu’un décor soli taire de ruines où miaulent plaintivement des bandes de chats efflanqués par le jeûne. Des affiches léchées par la flamme impo sent leur ironie amère parmi ces décom bres. Vente au rabais, ou bien. Théâtre Cybèle. a Æ , Dans la semaine, début du grand opéra italien. Près d’une porte, un paquet noirâtre : le corps recroquevillé d’un enfant brûlé. Plus loin, les débris de YOriental Carpet, l’établissemènt célèbre par le choix et la qualité de ses tapis. Un trésor, des mil lions, une cinquantaine, diVon, se sont volatilisés là en fumée. Le prestige de nos trois couleurs Voici le consulat de France, ou plutôt ce qu’il en reste. A un fût brisé de la co lonnade a été attaché le drapeau français. On ne peut pas imaginer combien de mil liers et de milliers d’êtres humains ont placé leur suprême espérance dans la pro...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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