Extrait du journal

Nous avons ici-bas deux espèces d’honnêteté : L* honnêteté ordinaire et l’honnêteté politique. L’honnêteté polititiquo étonne beau coup les gens naïfs, qui sont habitués à n’avoir de relations qu’avec l’hon nêteté ordinaire. Tel acte qui serait sévèrement apprécié dans le monde ordinaire semble tout naturel dans le monde politique. A l’école ou dit aux petits enfants que le mensonge est un gros péché, mais si voulez faire de votre héritier un homme politique, hàtcz-vous de lui déclarer que l art de mentir est le plus grand de tous les arts. Il faut savoir mentir avec grâce. Tout est là. Il faut connaître le se cret de couvrir avec des paroles fleu ries beaucoup de choses qu’on ne pense pas. Vous avez la prétention de connaî tre les idées d'un monsieur, vous l’a vez maintes fois entendu exposer et défendre ses idées devant vous. Un jour, vous allez dans une réunion avec le monsieur qui se met sans fa çon à brûler ce qu'il avait adoré. Il a l’air de s'être trompé de poche et d’a voir pris dans son calepin les idées d’à côté. Vous espérez que c’est une aberration, et que, pour son honneur, le monsieur est devenu fou. Il n’en est rien. Alors, indigné, vous pouvez être pris d’une sotte colère et vous écrier : — Mais, monsieur, vous mentez ! — Oh ! des gros mots ! Non, je ne mens pas, je fais de la politique. Pour réussir dans la politique, il est nécessaire d’être avant tout un homme très fort. Il faut s’entourer le cœur du triple airain dont parle Ho race. Bref, il ne faut pas faire de sen timent. Un personnage de la Vie de Bohême, avait, nous assure plaisamment Murger, un vieux bouquin à la place du cœur. L’homme politique doit avoir dans la poitrine un viscère en liège, a tin que les émotions et les sentiments puissent entrer et sortir facilement par tous les trous. Le fabricant le plus célèbre de ces organes, aussi modernes que perfectionnés, a été M. Emile Ollivier, ancien ministre de l’empire libéral. En politique, l’amitié n’existo pas. L’homme politique n’a pas un seul ami — il est entouré d'un tas de gens dont il se moque, mais qui en revan che se moquent absolument de lui. Quand l'homme politique se trouve en présence d’un inconnu, il se met aussitôt à l’observer : « Toi, mon gars, pense-t-il, qui es-tu ? — Es-tu électeur influent ? Es-tu agent électoral ? Es-tu journaliste autorise ? Es-tu seulement le concierge d’un monument public? » Si l’inconnu n’est ni ministre, ni va let de pied de diplomate, l'homme po-...