Extrait du journal
« Mes amis, je suis de cœur avec vous », di sait M. Lockroy à une délégation de collec tivistes révolutionnaires qui était venue le trouver quand il détenait le portefeuille du commerce, pour lui exposer les vues politi ques et les désiderata de cet intéressant parti. Etait-ce sérieux ? était-ce une de ces effusions banales dont sont prodigues les courtisans de la popularité facile ? Nous voulons croire, étant donné le caractère bien connu de M. Lockroy, que c'était sérieux. En tous cas, ces bonnes paroles ne tombèrent pas dans des oreilles de sourds, et nous recueillons aujourd'hui ce que M. Lockroy et ses émules ont semé. Les chefs du mouvement révolutionnaire ont la mé moire longue. Ils trouvent qu'il ne suffit pas de promettre, mais qu'il faut tenir, et ils ne sont nullement disposés à se payer de baisers Lamourette. Avec un gouvernement dont certains mem bres ont le cœtfr si large qu'ils y accordent une place de faveur aux ennemis de tout pou voir régulier, les grèves auxquelles nous as sistons, et qui menacent de devenir chaque jour plus graves, devaient fatalement se pro duire. Le Conseil municipal, qui est animé du même esprit de flatterie électorale, a égale ment sa part de responsabilité dans la grève. Quand il a élevé arbitrairement le taux des salaires des terrassiers employés aux travaux de la Ville, il devait bien supposer que ceux de leurs camarades qui travaillent pour l'Etat et pour les particuliers réclameraient, fût-ce par la force, les mêmes avantages. Mais lors que nos conseillers municipaux entrevoient les conséquences de leurs votes, il est trop tard. Le parquet, en donnant à M. Lozé les ordres étranges que celui-ci a soulignés dans sa pre mière circulaire aux commissaires de police, s'est également rendu coupable d'une lourde faute. Est-ce ignorance, légèreté ou crainte de déplaire en haut lieu en reconnaissant que le code punit sévèrement les attentats contre la propriété commis par les grévistes ? Toujours est-il que le parquet a eu l'air de n'avoir ja mais ouvert un code et d'ignorer profondé ment cette loi que tout le monde est censé connaître, et que doivent, au moins, connaître. ceux qui sont chargés de l'appliquer. Affirmer que les violences des grévistes ne sont pas punies par les lois, c'était encourager le re nouvellement de ces violences. Il est vrai qu'une circulaire nouvelle est venue déclarer que la précédente n'avait pas le sens commun. C'est le parquet du roi Pétaud. Pendant quarante-huit heures, les agents se sont trouvés désarmés, et les fauteurs de dé sordre ont pu croire que les actes qu'ils com mettaient étaient légitimes. Nous sommes cu rieux de savoir comment les tribunaux vont s'y prendre, maintenant, pour les condamner. On a fourni là un argument dont les défen seurs des accusés ne manqueront pas de s'em parer. Dans la réunion tenue hier par les charretiers grévistes, le secrétaire général, le citoyen Boulé, a raconté que dans le quinzième arrondissement, les chiffonniers ont aidé les grévistes « à mettre les tombereaux à cul », et que, pendant ce temps, les sergents de ville se détournaient et riaient. On ne peut, en effet, demander ni aux sergents de ville, ni aux grévistes d'être des juristes plus éminents que les magistrats du parquet, En se détournant et en riant, ils ne risquent pas de déplaire et d'être révoqués, soit pour avoir donné à leurs chefs une leçon de législation, soit pour avoir fait preuve de « brutalité » à l'égard des gré vistes qui, comme le citoyen Tennevin, dit qu'il faudra « leur cesser la gueule. »...
À propos
Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.
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