Extrait du journal

ble, l’histoire de la délivrance d’Emin, ou le délivré malgré lui. Il est évident que, dans l’ouvrage que nous allons pro chainement lire, toutes ces choses seront racontées par le menu, par Stanley. Ce sera beaucoup moins intéressant que l’expédition elle-même, et la relation des découvertes accomplies par cet homme extraordinaire, que l’on a cru mort pen dant de longs mois. Ce qui paraît vrai semblable, c’est que cette délivrance d’Emin, combinée à Londres, bien qu’E min soit Allemand, n'était qu’un pré texte pour dissimuler d’autres opéra tions. On en a touché quelques mots, par ci par là ; il a même été question d'une Compagnie africaine, analogue à la Compagnie des Indes d'autrefois, c’est-à-dire ayant son administration spéciale et ses forces militaires, pour l’exploitation d’une partie du continent africain. Aujourd’hui, Stanley dit que tout cela n’est que rêverie, et que l'opération ne serait pas rémunératrice, même quand le sol africain serait couvert d argent. Alors, il en faudrait conclure qu’une expédition aussi coûteuse aurait été réel lement organisée pour le salut d'un homme qui ne demandait rien, ce qui n'est guère dans les habitudes de nos voisins. La mort de Gordon, un Anglais, et quel Anglais? se dressera toujours, à l’encontre de cette hypothèse. En tout cas, la prise de possession caressée a échoué, et c’est presque miracle que le chef de l’expédition soit revenu sain et sauf, en compagnie d’Emin, mais qui suivait, ce 11'est plus un secret, à son corps défendant. C'est un élément de plus pour la grande curiosité que ne manquera pas d'éveiller le prochain livre de Stanley, que les éditeurs ont couvert d’or; mais, qui n'en désirerait la contre-partie ? Les reporters parisiens ont pu voir Stanley, bien à la hâte et rapporter le peu de choses qu’il leur a dites. Dans ce peu de choses, tient la première place cette délivrance d’Emin, qui pourrait bien avoir été ramené en captif, et sur veillé de façon à ne pouvoir reprendre la clé des jungles. Il y aurait un excellent moyen de s’assurer de cela, ce serait d'interroger Emin ; mais Emin n’est pas interrogeable. A peine Stanley avait-il mis le pied sur le bateau qui le ramenait au Caire, que le pacha rentrait dans le continent mystérieux, et s'y enfonçait, avec le souvenir d'une chute qui faillit être mortelle et qui, si notre mémoire est fidèle, fut mise sur le compte de l'i vresse, tout au moins d'un excès de champagne, dangereux après tant de privations. Malgré cela, il est bien probable qu'Emin-Pacha, qui n’est point un naïf, a écrit aussi ses impressions et, qu’un jour ou l’autre, nous lirons l’exposé de sa situation, au moment où Stanley et sa troupe se sont présentés à lui en libéra teurs qu’il ne réclamait pas, et que per sonne n’attendait. Loin de moi la pensée de vouloir diminuer, en quoi que ce soit, la renommée de l’explorateur qui a ac compli de si grandes choses, bien que le capitaine Trivier, traversant l’Afrique équatoriale, d'un Océan à l'autre, me semble pour le moins aussi grand. Mais, pour la gloire tapageuse, il faut un appa reil pompeux qu’il n’avait pas, et une réclame bien entendue et soigneusement entretenue, dont il ne s’est pas soucié. Notre compatriote, réduit à ses propres et modiques ressources, n’avait point d’Emin à délivrer. A sa place, si l’explo ration africaine le séduit, je me mettrais à la recherche du pacha, et, une fois rencontré, je lui demanderais l’histoire de sa délivrance. Ce serait la partie co mique, tout au moins le petit côté d'un drame dont il serait puéril de contesh r la grandeur. Jean de .Nivelle....