Extrait du journal

À son tour, la comtesse Chévensky s’inclina devant l’image qui fait des miracles; les plis de son manteau de velours tombèrent sur la touloupe de peau de mouton graisseuse et malo dorante d’une paysanne, qui, elle aussi, avait quelque chose à demander. — Vierge bénie, mère du Seigneur, pria Mar’ Ivanna, je t’en supplie, éloigne de moi le péché! Ne permets pas que je souille mon corps, ne permets pas que je souille mon âme ! Permets que je garde l’honneur qui m’est confié, que je sois fidèle à la foi jurée, la foi du mariage... Je suis faible, je suis seule, viens à mon secours, Vierge, mère de Dieu ! Un grand flot de larmes monta à ses yeux. : — Je suis plus pauvre et plus misérable de vant toi que la femme qui te prie à côté de moi, Viergé très sainte, reprit-elle, avec un sentiment poignant de sa faiblesse, car je ne souffre pas du mal que me font les autres, mais de celui que je me suis fait à moi-même ! Si tu ne m’aides pas, je succomberai. Je te fais un vœu, mère sacrée du Sauveur; reçois mon voeu et que je périsse, si j’y manque 1 Je jure, et tu en es témoin, gue l’amour adultère ne me souillera pas, que ’je serai 'fidèle à ma foi de -mariage. Je ne puis me défendre d’aimer, hélas ! mais tu peux m’empêcher de faillir. Je l’aime, celui qui m’a pris, mon.cœur et mon tâihe, mais, plus que lui, j’aime l’honneur et le 'dëvoir. Fais que ma tendresse reste innocente, ‘permets qu’elle l’aide seulement à monter vers le bien 1 Permets que je lui donne tout ce qui peut rendre un homme heureux, sauf le sacri fice de moi-même, qui ne m’appartiens pas. Et si jamais il devenait infâme et criminel, je te jure, mère du Sauveur, que je saurais l’arra cher de mon cœur et ma vie ! Elle restait debout, frémissante, enlevée par l’élan de sa prière jusqu’à ces régions de l’es prit où les choses terrestres ont disparu. — Infâme ou criminel, pensa-t-elle, il ne sau rait jamais l’être, mais s’il l’était, je cesserais de l’aimer... Dis, mère de Dieu, tu m’aiderais à le chasser de mon âme? Et je t’apporterai le plus beau de mes diamants, afin qu’il demeure attaché à ton vêtement comme un gage éternel de ma reconnaissance. Elle avait allumé un cierge de cire blanche, le plus gros que vendît le préposé à cet office ; elle le fixa elle-même sur un lampadaire, baisa l’i mage vénérée et sortit....