Extrait du journal

avec ses mains fiévreuses, et il finit par sortir, désespérant de chasser cette hallucination, s’il ne la précipitait au dehors de lui. Descendü très rapidement au hasard jusqu’à la Seine, il ralentit sa marche le long du quai. Là il se mit à regarder sans les voir les trains qui glissaient sur le viaduc enjambant le fleuve, les bateaux remorqués à la chaîne, les lavoirs, les mouches, les embarcations de pêche, le tra vail des débardeurs, toute la vie sur l'eau et au bord de l’eau enfin, dans les scintillations éblouissantes de ce superbe matin d’été. Son hallucination multiple de tout à l’heure s’était dispersée. Maintenant il revoyait Blanche en une seule image fixe dont la contemplation le faisait vivre depuis l’autre jour, et permettait à son audace de défier l’avenir ainsi qu’il avait défié Blanche elle-même ; il la voyait, comme à la fin de leur entretien, soudain pâlie, les yeux ; cernés d’ombre mortelle, les lèvres desséchées et toutes tremblantes, lorsqu’il avait parlé de ses secondes noces à lui... ' Alors quelle folie avait passé par le cerveau du petit docteur?... qu’avait-il osé dire I quelle hardiesse vaniteuse, à châtier d’un coup de cra vache, si elle n’était si ridiculement, naïve !... — « Nous sommes faits l’un pour l'autre ! » Qui donc, quelle circonstance avait pu lui fournir cette opinion qu’il semblait profe'sser comme un article de foi?... Etait-ce Paulette qui l’encourageait, qui le poussait vers Blanche, en haine du premier .fiancé parjure ? était-ce que voyant la petite sœur près d’épouser un méde cin, il s’imaginait que fa profession avait toutes les faveurs de l'aînée elle-même ? — Nous sommes faits l’un pour l’autrel Grand Dieu I Mais Blanche, en lui parlant à lui, Bernard, avait dit : « Nous ne sommes plus faits l'un .pour l'au tre. » Alors, c’était possible! Blanche, Blanche ellemême, aurait permis réellement une espérance au docteur Flayol? C’était celui-là qui lui pa raissait fait pour elle aujourd'hui à cause d’une certaine parité d’érudition? Celui-là deviendrait son fiancé, son maril... L’idée d’une possibilité semblable indignait....