Extrait du journal

certainement, un homme de nature vio lente, un Corse et demi. Si la justice eût pu être possible envers lui, dans le milieu ardent de 1870, on eût pu et on eût dû reconnaître que cet homme violent était indépendant de caractère et que son éloignement de. la cour des Tuileries tenait à des raisons d'une délicatesse supérieure Mais il avait, comme tous les Corses, un orgueil national capable d'aller à tout. Il s'attendait à être provoqué par M. Rochefort et vivait, non dans l'anxiété, mais dans la surexcitation d'une rencontre qui devait être grave. C'est alors que Victor Noir,accompagné de M.deFonvielle,vint le provoquer, au nom de M. Grousset. Victor Noir ne se tenait pas de joie! « Je vais faire marcher un prince, un cousin de l'Empereur », disait-il la veille, avec un enthousiasme naïf. Le prince, qui voulait n'avoir affaire qu'à M. Rochefort, envoya promener.les témoins de M. Grousset. En quels termes ? Probablement en des ter mes très vifs. Le choc était inévitable. On ne saura peut-être jamais ce qui se passa, autrement que par induction. Mais il est bien clair que le prince se crut atta qué chez lui, qu'il constata que M.de Fonvielle était armé, ce qui est étrange pour un témoin, et. que, se tenant pouf autorisé parle cas de légitime défense, il fit feu. Je crois que l'enquête veut qu'on ne voie dansl'aventure qu'un irréparable malheur, et non pas un crime. Ce malheur,l'Empire en supporta les con séquences. Il pesa surtout sur un homme qui fit cependant son devoir, sur,M~Emile,. Ollivier. Gai de des sceaux, M. Emile Ollivier, sur l'heure, fit arrêter le prince Pierre, même sans en avertir l'empereur. Et, le jour même, il faisait signer le dé cret convoquant la Haute-Cour. Le prince Pierre demanda à comparaître devant le jury: ce n'était pas possible. Nul ne peut changer son statut. En réalité, la loi était respectée, et, en d'autres temps, per sonne n'eût trouvé à y redire. Imaginez qu'un cousin, peu intime avec M. Carnot, ait une rixe et tue un homme ? On trou verait purement stupide que quelqu'un s'en prit à la République et à son prési dent. Mais, en cette affaire, il. était écrit qu'on serait injuste envers tout le monde. On le fut même envers M. Rochefort. Je ne-cache pas que je n'aime pas M. Ro chefort. Je tiens son talent pour aussi funeste qu'il est grand. Mais, ayant vu les choses de près, le jour de l'enterre ment de Victor Noir,jenepuism'associer à ceux qui pensèrent que M. Rochefort man qua de courage. Ses nerfs trahirent sa vo lonté, ce qui n'est rien, ce qui peut arriver aux plus braves. Mais j'imagine que, par dessus tout, son cœur se troubla devant la responsabilité qu'on lui demandait de prendre : et ce trouble s'explique et n'a pas besoin d'extre excusé. Le jour de l'enterrement de Noir, ou eût pu, peutêtre, jeter dix mille hommes dans la rue. Mais c'eût été les envoyer à la mort. Si ébranlé que fût l'empire, il n'y a pas d'illusionàse faire. Une insurrection eût été noyée dans le sang, d'autant plus que M. Emile Ollivier était résolu et que le ministre de l'intérieur, à cheval dans les Champs-Elysées, avait dix mille hommes de troupe prêtes à marcher sur un signe et qu'il n'était pas de ceux qui s'abandon nent. Que s'il est vrai que M. Rochefort seul empêcha le confit de s'engager, il agit honnêtement. Mais qu'il est difficile de faire la part de chacun et de toutes choses en ces journées ! Avec quelle bizarrerie les responsabilités s'égarent! La raison, le sentiment, cës frères ennemis, sont à l'aise, en ces aventures, pour reprendre leur lutte éternelle, décevant les hommes... Sur cette tombe de Victor Noir, qui doit d'abord inspirer la tristesse, je voudrais que l'artiste ait sculpté, comme une leçon d'histoire, l'image énigmatique du Ha sard... - NESTOR....