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L’Écho de Paris, 25 avril 1915

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L’Écho de Paris
25 avril 1915


Extrait du journal

Voici que le printemps est tout à fait venu, et nous pouvons ne pas prendre sa joie : elle nous est offerte. Même sur les plateaux du Nord et du Pas-de-Ca lais, d'où le vent rude et la pluie ne se retirent qu'au milieu de l'année, il y a des signes qui ne trompent point, et qui disent : Bonnes gens, hâtez-vous pour les derniers labours et pour les der nières semailles, sans quoi vous n'au rez au mois d'août qu'une moitié de ré colte ! Hélas I des yeux pour voir les signes, il s'en trouve encore, mais ce sont des yeux de femmes et d'enfants. Les hom mes sont à la guerre ; les chevaux tirent sur les routes de frontière les camions chargés de pain ou de sacs d'avoine ; le fouet est pendu dans l'écurie, au clou de la poutre, et la mèche qui diminuait, l'an passé, d'au moins trois pouces, par semaine, à force de claquer dans l'air vif, dort à présent, échevelée et arron die, comme une aigrette de pissenlit. On ne voit plus les poules, le bec ouvert, et effarées, s'envoler du bord des man geoires, comme elles faisaient autrefois, „ quand la belle pouliche grise tendait le cou vers elles. Moins de bêtes, moins de gens, moins de blé en espérance, et la pensée des femmes qui est toujours au loin : quelle dure année I Aussi le village s'endort-il comme un jour sans crépuscule, subitement. A peine les mères, quelques jeunes filles, quelques anciens de la guerre de 70 ontils quitté l'église, où le curé a récité la prière du soir, les litanies de la Vierge et le De Profundis, que chacun ver rouille sa porte, et que la place devient " déserte, et la longue rue, et aussi les trois petites qui, du côté du nord, font la patte d'oie. On ne se dit plus bonsoir l'un à l'autre, on garde son fardeau pour soi, on n'est plus que des débris de familles, qui- cherchent le silence et l'écart. Inutilement, la lumière d'avril, la lumière blanche et froide, s'attarde dans le ciel; au ras des terres infinies. Le curé est rentré chez lui, dans la maison basse qui est derrière l'église, et qu'on reconnaît à la croix de fer piquée sur le mur du jardin, et aux trois poi riers en espalier qui s'épanouissent-sur . la façade, bien noirs, parmi les briques mois.ies.La servante a allumé la coquille de charbon, malgré la défense. Est-ce qu'il vivrait encore, si elle ne lui déso béissait pas.? Un homme qui ne sait pas. ou qui n'a pas l'air de savoir quand il fait froid et quand il fait chaud, et qui tousse-la nuit, souvent, « pis qu'un blai reau »! Il a vu la guerre de 70, n'est-ce pas ? Eh bien ! c'est la seconde qui lui a fait, le plus de mal, celle d'à présent. Il n'est plus jeune du tout, et il a le cœur tiraillé entre tant de misères, dont au cune n'est la sienne et qui le font toutes souffrir ! Elle a raison, Marie. Elle enlève les trois assiettes, la serviette deux fois nouée, la bouteille de bière, et les qua tre pommes en pyramide qui figurent sur la table depuis plus d'une semaine, sans qu'il ait eu seulement l'idée d'en peler une, du bout de son couteau. Ça. c'est un signe. Il a dîné en moins de dix minutes. Il est là, devant la cheminée, assis dans le fauteuil de paille, son grand corps plié en deux et les mains transparentes et rouges, formant écran. Depuis qu'il n'a plus, pour lui donner la réplique, M. l'abbé, devenu soldat, il lui arrive, parfois, de s'adresser à Ma rie,'la servante maigre et usée, qui a l'air de comprendre bien plus de choses qu'elle n'en comprend. Et cela suffit. Elle vient, elle tourne, elle s'en va, les mots la suivent. Ce qu'elle comprend le mieux, c'est la douleur du monde. — Marie, nous en avons dans tous les régiments ; je pourrais, de mémoire, faire la liste : des fantassins, des hus sards, des canonniers, des cuirassiers, des sapeurs, et même un aviateur. Je voudrais bien le3 revoir, tous, même ceux qui ne m'aimaient pas. Je leur sou-, haite de reprendre simplement ce dont le monde n'a pas assez le goût : la vie ordinaire, la vie que nous crôyons dure Emrce qu'elle nous cache et nous enerme en sa monotonie, mais qui est si bonne,, si bonne f — C'est pas ce que vous disiez, l'autre dimanche, dans votre sermon ! — Qu'est-ce que je disais, Marie î Elle ne répondit pas tout de suite, parce qu'ellé devait retourner dans la cuisine, mai3 quand elle reparut, ses" deux sabots traînant sur le carreau, elle dit, avec une vivacité qui révélait une sorte d'indignation : — Vous disiez, monsieur le curé, que Ceux qui reviendraient auraient de la gloire t (Ella /prononçait : de la gloouère..) Ça leur fera grand bien, la gloire ! Ils auront une belle jambe avec leur gloire l — Vous ne savez pas ce que c'est que la gloire, ma pauvre fille 1 Vous pensez qun cela consiste à crier dans la rue ; à menacer les bonnes gens de l'Europe et même les nègres ; à porter un plumet ; à faire son . empereur dans les jeux de boules? j'appellerais cela de la mau vaise gloire. La vraie gloire, nous en avons grand besoin. Elle ne prend pas la place des autres, mais elle garde, la sienne ; elle n'a pas peur de parler ; et, quand il y a un pauvre petit diable de Eays qui pleure, elle demande tout aut : « Je voudrais bien savoir qui lui a fait mal ? » Elle ne refuse pas de s'oc cuper d'une affaire de justice, sous pré texte qu'il y a du danger. Un homme qui revient glqrieux, après avoir sauvé son nays, comme seront mes paroissiens après-demain, il a plus de cœur que ce lui qui ne s'est pas battu ; il a souffert pour tous ceux qui le regardent en face, il a médité la mort, il a frôlé le Para dis ; il.lui en reste du sérieux et de l'honneur dans les yeux... Marie, moi j'irai au-devant d'eux. aux limites de la paroisse, jusqu'au carrefour- du Ren-...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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