Extrait du journal

J’ai souvent songé, en lisant l’histoire officielle dans les manuels destinés aux fils de prolétaires qui fréquentent la laïque, à un conte dont ma grand’mére amusa mon enfance : Un pauvre muet fut un jour, sans raisons plausibles, publiquement battu par un avocat. La foule accourue voul.it savoir le fin mot de l’affaire. L’avocat raconta l’incident de telle façon que, malgré les gestes de dénégation du muet, celui ci fut hous pillé par les badauds, parmi lesquels se trouvaient ses propres li's qui, apiès avoir excusé leur père, l’emmenèrent à la maison avec des yeux gros de reproches. Dans l’histoire officielle, en effet, c’est aussi le muet qui a tort. Aux fils du peuple, on apprend à con naître et à vénérer ceux qui furent souvent les plus cruels bourreaux de leurs pèids. Ignorants, grossiers, mé chants, tels furent, leur dit-on, leurs aïeux ; même ceux qui instituèrent les communes, ceux qui bâtirent les cathé drales, et ceux plus proches, qui rasèrent la Bastille. Quoi d’étonnant, dès lors, si, sortis de l’école, les enfants des travailleurs ne s’inquiètent pas des quelques bons livres qui leur apprendraient les efforts, les peines, les espoirs de ceux qui. mieux et plus que les rois, firent non seulement la France, mais constituèrent l’innombrable richesse de l’humanité ! 11 m’a paru nécessaire, au début, de cette étude sur le syndicalisme, de faire — trop rapidement hélas ! — un retour sur le passé pour donner s’il était né cessaire, b la classe ouvrière, une rai son de plus de s’organiser et d’agir. Sans apporter le moindre crédit à l’explication biblique du travail — «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » — on est obligé de constater que le travail, de tout temps nécessaire, fut de tout temps pénible. Il était naturel que dans une âme barbare, germât la pensée d’échapper à cette pénible nécessité. Si loin que l’on puisse remonter dans l’Histoire, on rencontre, en effet, des classes d'hommes : les esclaves qui tra vaillent ; les chefs qui ne travaillent pas, mais qui, par instinctive sauvage rie, naturel besoin de mouvement et désir d’augmenter leur richesse par la rapine, font la guerre ; enfin, les prêtres qui ne font rien qu’exploiter la crédu lité et l’ignorance des autres pour vivre facilement à leurs dépens. Cher, tous les peuples, Egyptiens, Grecs, Romains, Arabes, Gaulois, Francs, on retrouve cette division de la société en classes. Elle existe encore actuellement, non seulement chez les peuples arriérés, mais dans tous les pays qui se disent civilisés. Ce qui semblerait prouver en passant, que la civilisation se résume, — pour ceux qui jugent parfaite une société ainsi organisée, — en un habit noir couvrant mal le sauvage primitif. Il était fatal que les chefs et les prê tres — infime minorité instruite devant la majorité ignorante des esclaves — s’entendissent comme larrons en foire pour subsister. Les premiers, d. fendant en réalité leurs privilèges et leurs ambitions, pré tendirent défendre les esclaves euxmêmes . Par la terreur autant que par la persuasion, ils arrivèrent à dresser les unes contre les autres des masses d’hommes de plus en plus nombreuses, et parvinrent — cruelle ironie — à les faire s’entr’égorger. En Europe, les nationalités naissent après des années de lutte féodale, et c’est dans le sang des milices communales, à Bouvines (1214) que prend ses premières forces, cet arbre généalogique de la royauté française qui porte, pour quelques rares produits sains, des dizaines de fruits se^a, véreux ou empoisonnés. Les seconds, semeurs de fallacieuses promesses d’éternité, s’enveloppant du manteau pur duchristianisme, prêchant hypocritement la résignation, s’allièrent dès Clovis aux grands chefs. Plus tard, dans un moment critique, alors que lo peuple affamé par la guerre permanente songeait à la révolte, et que les sei...