Extrait du journal

Tous les matins, en me levant; tous les soirs, en me couchant, je me disais : Déci dément,il me manque quelque chose. Quoi? je l’ignore. Ce qui est certain, c’est que ma félicité n’est pas complète. Et je me tâtais avec inquiétude, me sentant lentement dé périr. Aujourd’hui, M. Jules Ferry est venu, il a parlé, on l’a applaudi et je sais à quoi m’en tenir. Il me manquait, comme à vous tous, d’être suffisamment gouverné. Maintenant, nous le sommes ou du moins nous allons l’être; M. Jules Ferry nous l’a affirmé, et la parole de M. Jules Ferry, c’est sacré. A deux heures et quelques minutes, le nouveau grand ministre, avec cet air mo deste qui sied si bien à sa noble physiono mie, monte à la tribune et donne lecture, au nom du gouvernement, de la déclaration que vous avez lue tout à l’heure. 9 Beaucoup de gens sont charmés do ce petit morceau de littérature ministérièlle et manifestent leur satisfaction par des murmures approbateurs et des applaudis sements bien nourris. M. Jules Ferry fait la roue, s’arrête aux bons endroits, les souligne complaisamment du geste et de la parole. C’est avec des in flexions doucereuses, d’un ton mielleux, que cet homme à poigne fait ressortir les vertus incomparables des verges avec les quelles il se dispose à fustiger d’importance les intelligents bonshommes qui l’écoutent, œil arrondi, bouche béante. On a beaucoup vanté les favoris de M. Jules Ferry; mais je crois décidément qu’en lui, c’est encore le toupet qui l’emporte. « Nous,sommes résolus, dit-il, à user im médiatement — contré les princes conspi rateurs— des droits incontestés que laloi du 19 mai 183A nous confère. » Salve d’applaudissements à gauche et au centre. Grognements à droite. « Si la République rencontrait quelque jour des conspirateurs sérieux.., » On rit. « ...elle trouverait dans son droit supé rieur les pouvoirs qui n’ont jamais fait dé fauts un gouvernement régulier. » La gauche et le centre trépiguent. « Ce sont les ennemis du gouvernement libre qui voudraient le réduire au x’ôle de gouvernement sans défense. » Attrapez, Maretl attrapez, Lanessan! et vous tous, mauvais républicains, qui vous obstinez méchamment à ne pas vouloir comprendre que plus un gouvernement prive les gouvernés de liberté, plus il est libre lui-même. « Sans toucher à des libertés essentielles,...