Extrait du journal

L'aigle, l'aiglon et le corbeau. — Un aigle nourrissait dans son aire un jeune aiglon, dont les plumes étaient à peine poussées. Mais déjà le corbeau son voisin, courtisan empressé de ce despote futur, était venu lui faire ses compliments : « Salut, avait-il dit, au jeune roi des airs! » — « Puisque je suis, se dit alors l’aiglon, le roi des airs,je veux visiter mon domaine. » Et il demanda à sa mère de l’accompagner lors de sa prochaine sortie. « Garde-toi bien, lui dit la vieille aigle, de vouloir quitter le nid avant que tes plumes aient poussé; tu tomberais et tu te tuerais. » Et elle partit seule pour la chasse, priant instamment son nourrisson de se tenir coi pendant son absence. Elle partie, le corbeau revint et il répéta sa formule: « Salut au jeune roi des airs ! —Ma royauté, dit l’aiglon, ne s’étend pas bien loin, elle ne dépasse pas ce trou de roche. — Elle n’a pas de limites, reprit le corbeau, pas plus (pie n’en a le ciel même : il vous suffirait pour vous en convaincre de vouloir étendre les ailes. — Mais c’est que ma mère me l’a défendu. — La reine votre mère a eu sans doute pour vous donner cet ordre de très bonnes raisons; mais vous le savez, seigneur, les personnes âgées sont timides, et, s’il plaisait à votre altesse de m’accepter comme compagnon.... — Comment! tu crois (pie je pourrais....— J’en suis très sûr, seigneur; et votre altesse, au besoin, pourrait me faire l’honneur de s’appuyer sur son serviteur. » L’aiglon s’élança hors de l’aire; mais il avait à peine agité trois ou quatre lois ses grands bras encore dépourvus de plumes, qu’il se sentit attiré en bas. Le corbeau essaya de passer sous lui; mais il ne put que retarder de quelques instants la chute de cette lourde masse qui ne se soutenait plus, et l’aiglon tournoya et tomba sur le sol, en poussant de longs cris aigus. A ces cris, la vieille aigle accourut : en passant, elle assomma d un coup d’aile le corbeau qui tirait au large; à grand’peine, elle fit monter l’aiglon sur son dos, et reporta dans le nid le « jeune roi des airs » endolori, boiteux et confus, qui ne songea pas à recommencer....