Écho de presse

Affaire Steinheil : la déchéance d'une courtisane (2/2)

le 29/05/2018 par Marina Bellot
le 06/06/2017 par Marina Bellot - modifié le 29/05/2018
Le Petit Journal, supplément du dimanche, du 21 novembre 1909 - Source : RetroNews

En 1909, le procès de Marguerite Steinheil, accusée du meurtre de son mari, s'ouvre à Paris. Il retrace le parcours d'une fille d'aubergiste devenue une courtisane réputée dans la France de la fin du XIXe siècle.

En 1908, un meurtre dans la haute société parisienne a mis en émoi la presse et l'opinion (voir notre premier volet consacré à l'affaire).

Le procès s'ouvre en novembre 1909. Une foule compacte de curieux se presse devant et dans le Palais de justice, pour apercevoir celle qu'on surnomme alors la veuve rouge. Le Petit Parisien rapporte :

"À midi dix, un long silence se fait quand, précédée d'un garde municipal, Mme Marguerite Steinheil apparaît à la porte qui conduit au banc des accusés. Elle est excessivement pâle, mais parait très maîtresse d'elle-même."

Le quotidien revient longuement sur la jeunesse de cette accusée hors normes :

"Dès l'âge de quinze ou seize ans, elle se faisait remarquer par la façon dont elle recherchait la société des jeunes ouvriers du pays. Elle avait des flirts, de nombreux flirts qu'elle conduisait de front. Elle semblait se préparer au rôle de grande coquette, qu'elle tint plus tard, à Paris, lorsqu'elle fut devenue Mme Steinheil."

L'ascension de cette fille d'aubergiste, devenue courtisane dans la France de la fin du XIXe siècle (jusqu'à devenir rien moins que la maîtresse de Félix Faure), est au centre des débats et passionne la presse :

"Dès les premiers temps de son installation à Paris, le peintre dut céder aux caprices de sa jeune épouse, qui manifestait pour le monde un goût très vif. Mme Steinheil se laissa courtiser. […]

C'était l'époque où Mme Steinheil fréquentait quotidiennement (déjà !) le Palais de justice. Y connaissant un juge d'instruction, elle eut tôt fait d'entrer en relation avec la plupart des magistrats et des avocats. Bientôt elle réussissait à fréquenter chez des financiers et des parlementaires. La vie parisienne l'avait singulièrement affinée. Douée d'une jolie voix, Mme Steinheil devint, grâce à quelques leçons prises chez un excellent professeur, une cantatrice recherchée. C'est à ce moment que les frasques de la femme commencèrent à faire quelques tapages. Elle menait joyeuse vie. Elle eut des amitiés célèbres."

Quel est le mobile du meurtre ? Marguerite est d'abord soupçonnée d'avoir organisé l'assassinat de son mari en le maquillant en crime crapuleux puis, faute de preuves formelles, l’accusation est abandonnée. On évoque aussi la possibilité qu'il ait été commis pour mettre la main sur des documents secrets ayant appartenu au président Faure, sans doute en rapport avec l’affaire Dreyfus, mais cette version est également abandonnée.

Les journalistes n'hésitent pas à livrer leur conviction personnelle sur la culpabilité de l'accusée. Pour Le Petit Parisien : 

"Elle a été le cerveau qui a guidé les mains homicides, les mains d'étrangleurs qui ont tué. Non seulement elle s'est révélée simulatrice incomparable, mais encore quel metteur en scène pourrait la surpasser !"

Pour Gil Blas au contraire :

"Plusieurs fois, elle a mis en déroute l'accusation […] « Meg » a réponse à tout, et souvent ses arguments sont sans réplique. Quelquefois même elle prend l'offensive. Elle a des réparties qui étonnent : « Vous dites que j'ai réveillé l'affaire ? J'aime mieux dans l'intérêt de la justice, penser qu'elle ne sommeillait pas, et croire que je l'ai continuée et non reprise ! »"

Le 14 novembre 1909, après une plaidoirie fleuve de son avocat, elle est acquittée par la cour d'assises, sans que la lumière ait été faite sur cette affaire atypique et surmédiatisée.