Écho de presse

L'assassinat de Sadi Carnot à Lyon

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 16/02/2018 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
Le Petit Journal, supplément du dimanche, 2 juillet 1894 - source : RetroNews BnF

Le 24 juin 1894, à Lyon, le président de la République Sadi Carnot est poignardé mortellement par Caserio, un anarchiste italien. L'événement provoque un choc dans tout le pays.

25 juin 1894. Toute la presse française ne parle que de l'événement de la veille : l'assassinat, lors d'un défilé à Lyon, du 5e président de la IIIe République, le républicain modéré Sadi Carnot.

 

 

 

Carnot a été poignardé en pleine rue, alors qu'il quittait un banquet organisé en son honneur par la Chambre de commerce au palais de la Bourse, place des Cordeliers, en marge de l'Exposition universelle, internationale et coloniale qui se déroulait au parc de la Tête d'Or.

 

Le Petit Journal publie le récit d'un de ses journalistes, présent au moment des faits :

 

« Le banquet a fini à neuf heures dix. Le cortège s'était reformé pour se diriger vers le théâtre où avait lieu une représentation de gala. M. Carnot avait pris place dans la première voiture. Il était arrivé à moitié de la façade du palais du Commerce donnant sur la rue de la République [...] lorsqu'un individu s'est précipité sur son landau et en a gravi brusquement le marchepied [...].

 

Je jetai instinctivement les yeux du côté du cortège, j'aperçus M. Carnot, dont le visage était devenu livide, s'affaisser sur le dossier du landau. La foule se rua aussitôt sur l'individu qui s'était jeté sur le landau présidentiel et que le préfet, M. Rivaud, assis à côté de M. Carnot, avait d'un coup de poing envoyé rouler sur la chaussée. On criait : “Le président de la République vient d'être victime d'un attentat ! Il a été frappé d'un coup de poignard !” [...]

 

Ceux qui l'avaient arrêté menaçaient de l'écharper sur place. Les sergents de ville ont eu la plus grande peine à le tirer de leurs mains. Il n'a pas fallu moins de dix gardiens de la paix pour protéger le coupable contre l'exaspération de la population. »

 

La nouvelle cause un choc dans toute la France, déjà secouée par plusieurs attentats anarchistes. Le nom du meurtrier est bientôt connu : Sante Geronimo Caserio, un Italien âgé de 20 ans.

 

La Petite République fait le portrait de cet anarchiste originaire de Lombardie, dont les activités politiques lui ont valu une condamnation puis l'exil hors d'Italie un an plus tôt. « Sante, quand il était enfant, était joli comme un amour, raconte son frère, interviewé. Mais il y a deux ans, il commença à fréquenter les anarchistes. Ce fut alors que son cerveau commença à s’exalter. Il lisait, sermonnait, on eût dit un avocat. »

 

Caserio, conduit à la prison Saint-Paul de Lyon, est interrogé le 26 juin par le juge d'instruction Benoist :

 

«  Voyons, Caserio, pourquoi avez-vous voulu tuer le président de la République ? Le connaissiez-vous ? Aviez-vous un grief particulier contre lui ?
Non, répond Caserio. C’était un tyran, je l’ai tué pour cela.
Vous êtes anarchiste ?
Oui, je m’en vante ! [...]
Comment avez-vous frappé M. Carnot ?
Je me suis avancé, repoussant le cheval d’un cuirassier. J’avais mon poignard ouvert dans ma manche. Je n’ai eu qu’à lever la main. J’ai visé le bas-ventre et ai laissé retomber le bras en criant : “Vive l’anarchie !” La foule s’est jetée sur moi, m’a terrassé, roué de coups. Les agents m’ont emmené au poste.
Vous persistez à dire que vous n’avez pas de complice ?
Oui. Mais, à propos, le président est-il mort ?
M. Benoist ne répond pas. Caserio semble penser que sa victime a succombé et ne dissimule pas sa satisfaction. Il sourit et, levant la main, fait le simulacre de frapper.
 »

 

Pendant les quatre jours suivant l'attentat, des émeutes anti-italiennes se produisent à Lyon. Les maisons, magasins et commerces de la communauté italienne sont incendiés et pillés et des immigrés italiens sont molestés. La Croix raconte :

 

« La foule se presse compacte sur le parcours que doit suivre la dépouille mortelle de M. Carnot. Elle reste morne et silencieuse pendant le passage du cortège. Mais à peine le convoi s’est-il éloigné, que la foule devient houleuse. Des cris de haine sont proférés de tous côtés. On entend surtout ceux de Vengeance ! Vengeance ! Nous vengerons Carnot ! À la porte les étrangers !”

 

Dès ce moment, des bandes d’hommes, de femmes, d’enfants, se forment et se dirigent, drapeaux en tête, sur le pont de la Guillotière. En un instant, le cours Gambetta, les rues Montebello, Montesquieu sont envahis et la foule, de plus en plus furieuse, met à sac toutes les boutiques dont les propriétaires ont une désinence italienne. »

 

Un policier et deux émeutiers (non italiens) périront dans ces émeutes.

 

Sadi Carnot recevra des funérailles nationales : il est inhumé au Panthéon le 1 er juillet 1894. Son assassin, jugé les 2 et 3 août suivants, est condamné à la peine capitale. Il sera guillotiné à la prison Saint-Paul le 16 août. Ses derniers mots, sur l'échafaud, sont : « Courage, les amis ! Vive l'anarchie ! »

 

L'assassinat de Carnot conduira à l'adoption, le 28 juillet, de la troisième et dernière des « lois scélérates » visant à réprimer le mouvement anarchiste.