Écho de presse

Les exécutions en place de Grève, ou la mort en spectacle

le 26/02/2021 par Pierre Ancery
le 20/06/2018 par Pierre Ancery - modifié le 26/02/2021

Pendant cinq siècles, l'actuelle place de l'Hôtel de Ville de Paris abrita des exécutions publiques. Ravaillac, Robert-François Damiens et des centaines d'autres condamnés y furent suppliciés, brûlés, roués vifs, pendus ou décapités devant une foule nombreuse.

La place de Grève à Paris (aujourd'hui place de l'Hôtel de Ville) a longtemps eu mauvaise réputation. Et pour cause : elle fut pendant plus de cinq siècles un des lieux privilégiés par la justice pour y procéder aux exécutions publiques.

 

C'est en 1310 qu'eut lieu la première de ces mises à mort, celle d'une hérétique, Marguerite Porette, brûlée vive sur la place. Jeanne Daubenton, de la secte des Turlupins, subit le même sort en 1372, tout comme la « sorcière » Catherine Deshayes en 1680. En 1721, le fameux bandit Cartouche y fut roué vif.

 

La nature du châtiment était décidée en fonction du rang et du crime du condamné : les roturiers étaient pendus, les gentilshommes décapités à la hache ou à l'épée, les hérétiques brûlés. Quant aux régicides, ils encouraient le supplice de l'écartèlement.

 

Le condamné le plus célèbre de la place de Grève fut d'ailleurs Ravaillac, l'assassin d'Henri IV, écartelé en 1610. Un supplice également subi en 1757 par Robert-François Damiens, qui avait tenté de poignarder Louis XV. La Gazette du 2 avril 1757 raconte en détail son exécution, particulièrement atroce :

« La Cour ordonna que ce détestable assassin […] serait conduit dans un tombereau, nu en chemise […] à la Place de Grève ; que, sur un échafaud, il y serait tenaillé aux mamelles, aux bras, aux cuisses, et aux gras de jambes, tenant de la main droite le couteau dont il a commis son affreux parricide ; qu'on lui brûlerait cette main avec un feu de soufre ; que sur les endroits où il aurait été tenaillé, on jetterait du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine, avec de la cire et du soufre fondus ensemble ; qu'ensuite il serait tiré à quatre chevaux et écartelé, et les membres et corps jetés dans un bûcher […].

 

Ses tourments ont duré trois heures. Il était encore en vie, ayant deux cuisses et le bras droit séparé du corps, et il n'est mort qu'après que son bras gauche a été détaché. »

Exécution par écartèlement de Robert François Damiens, estampe, 1757 - source : Gallica-BnF

Au XVIIIe siècle, la presse officielle regorge de récits de condamnations en place de Grève. Il s'agit de donner l'exemple, et donc de faire un maximum de publicité à ces châtiments, même quand ceux-ci ne sont pas mortels. Début 1792, on apprend ainsi qu'un nommé Gras fut « accusé et convaincu devant le tribunal du sixième arrondissement d’avoir assassiné sa maîtresse, et de lui avoir porté vingt coups de couteau ».

Puni de 20 ans de prison, cet amant jaloux doit d'abord subir une « exposition » place de Grève :

« Ledit Gras [sera] préalablement exposé sur un échafaud et attaché à un poteau qui sera à cet effet dressé dans la place de Grève pour y demeurer exposé aux regards du peuple, pendant six heures, et […] au-dessus de sa tête sera placé un écriteau où seront inscrits ses nom, profession, domicile, la cause de sa condamnation et le présent jugement. »

C'est encore place de Grève qu'une invention révolutionnaire (dans tous les sens du terme) voit le jour : la guillotine. Le 25 avril 1792, la foule parisienne se presse pour assister aux derniers instants de Nicolas Jacques Pelletier. Condamné pour avoir volé et assassiné un passant, il inaugure ce jour-là le « rasoir national », surnom populaire de la nouvelle machine à tuer.

 

Le Mercure Universel raconte :

« Le nommé Pelletier, convaincu d’assassinat, a été condamné par le 5e tribunal criminel à avoir la tête tranchée. Cette exécution s’est faite aujourd’hui, place de Grève.

 

Ce nouveau genre de supplice avait attiré une affluence considérable. La machine était posée sur un échafaud, élevé d’environ six pieds : attacher le condamné sur une planche, lui trancher la tête, a été l’affaire d’un instant, sans même que le public aperçut une trace de sang, tant ses dispositions sont bien prises. »

Déception en revanche pour les badauds : l'usage de la guillotine a « humanisé » la peine de mort en la rendant instantanée. Le bourreau n'a plus à s'y prendre plusieurs fois de suite avant de décapiter le condamné, et les écartèlements au moyen de quatre chevaux attachés aux membres du malheureux ne sont plus d'actualité.

 

Mais les exécutions se poursuivent : alors que les plus « prestigieuses » (Louis XVI, Marie-Antoinette, Robespierre, etc.) ont lieu place de la Concorde, les criminels de droit commun continuent d'être mis à mort en place de Grève. En 1805, un aveugle y est décapité pour avoir tué son rival amoureux :

« L’aveugle Bellanger a subi son jugement, ce matin , à huit heures, sur la place de Grève. On a remarqué que depuis 600 ans qu’existe l’hospice des Quinze-Vingts, aucun aveugle de cette maison n’avait mérité d’être puni par la justice. »

En juin 1806, c'est un infanticide qui y est exécuté :

« Fr. Leuchener, condamné à mort comme meurtrier de son fils, âgé de quatre ans et demi, a été exécuté hier sur la place de Grève ; il a été conduit au supplice revêtu d’une chemise rouge.

 

Ce malheureux a entendu avec tranquillité la lecture de l’arrêt de la cour de cassation, qui a rejeté son pourvoi ; puis il a dit qu’il y avait longtemps qu’il appelait la mort, et qu'il irait la subir avec courage. »

Ce qui inspire au chroniqueur Victor-Joseph-Estienne Jouy, en 1813, d'amères réflexions sur ce spectacle où continuent de se presser des milliers de personnes à chaque nouvelle exécution :

« Cet étranger qui verrait sur son chemin l’artisan quitter sa boutique, le bourgeois oublier l’heure de son dîner, les femmes prendre place aux fenêtres, d’autres mêlées dans la foule dont les quais et les ponts sont couverts, les cafés, les cabarets se remplir de buveurs ; cet étranger, dis-je, ne se croirait-il pas arrivé à Paris le jour d’une grande solennité ?

 

Supposons maintenant qu’il questionne son postillon, et qu’il apprenne que ce concours de monde, que tout ce mouvement a pour but de jouir des dernières angoisses d’un malheureux condamné au supplice ; notre voyageur […] ne serait-il pas autorisé à croire qu'il est au milieu d'une horde de sauvages récemment établie dans la capitale d'une nation civilisée ? »

Le 22 juillet 1830, Jean-Pierre Martin, voleur et assassin, fut le dernier guillotiné de la Grève. Après lui, la place de l'Hôtel de Ville (elle change de nom en 1803) peut enfin se débarrasser de son image sinistre.

 

En France, les exécutions publiques continueront toutefois pendant encore un siècle. La dernière eut lieu en 1939, à Versailles, devant un public nombreux.