Écho de presse

L’agression en bande organisée de Victor Hugo en Belgique

le 27/07/2020 par Priscille Lamure
le 29/08/2018 par Priscille Lamure - modifié le 27/07/2020
Caricature de Victor Hugo assis sur Paris par Benjamin, circa 1850 - source : Gallica-BnF

Dans la nuit du 27 au 28 mai 1871 à Bruxelles, le romancier Victor Hugo est agressé et menacé de mort par une troupe de quarante personnes. Son fils relate l’incident au Constitutionnel.

En mai 1871, lorsqu’éclate la Commune de Paris, le romancier Victor Hugo, récemment revenu de son exil dans les îles de Jersey et Guernesey, se trouve en Belgique pour régler une affaire de succession. Il s’est installé chez son fils François-Victor, place des Barricades n° 4, à Bruxelles.

Le 26 mai 1871, au lendemain de la répression de la Commune, Victor Hugo fait parvenir une lettre au journal L’Indépendance belge. Dans celle-ci, il proteste contre la décision du cabinet de Bruxelles de ne pas reconnaître le statut de « réfugié politique » aux insurgés vaincus qui voudraient trouver refuge en Belgique.

L’auteur ajoute que sa maison bruxelloise sera en conséquence ouverte à tous les communards qui souhaiteraient passer la frontière – et défie le gouvernement de venir les y chercher.

Cette lettre, publiée le lendemain, déclenche la colère d’un grand nombre de ressortissants belges conservateurs, refusant d’ouvrir leur porte à des centaines de réfugiés communards.

Le soir même, dans la nuit du 27 au 28 mai 1871, la maison de la famille de Victor Hugo est ainsi assiégée par une bande de Belges en colère. Dans une lettre publiée par Le Constitutionnel, François-Victor Hugo, le fils du romancier, raconte cette nuit de terreur :

« Il était minuit un quart ; il venait de souffler sa bougie et il allait s’endormir. Tout à coup, un coup de sonnette se fait entendre. […] M. Victor Hugo se lève, passe une robe de chambre, va à la fenêtre, l’ouvre et demande :

– Qui est là ? […]

En ce moment, une grosse pierre, assez mal dirigée, vient frapper la muraille, à côté de la fenêtre. M. Victor Hugo comprend alors, se penche à la fenêtre ouverte, et aperçoit une foule d’hommes, une quarantaine au moins […]. Il élève la voix et dit à cette foule :

– Vous êtes des misérables !

Puis il referme sa fenêtre. Au moment où il la referme, un fragment de pavé, encore aujourd’hui dans sa chambre, crève la vitre à un pouce au-dessus de sa tête, y fait un large trou et roule à ses pieds en le couvrant d’éclats de verre […].

En même temps, dans la bande groupée au-dessous de la fenêtre, des cris éclatent : “À mort Victor Hugo ! À bas Victor Hugo ! À bas Jean Valjean ! »

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Victor Hugo et son fils ne sont pas seuls dans la maison. Ils y séjournent en compagnie de Mme Charles Hugo, veuve de son fils Charles, de ses petits-enfants Georges et Jeanne, âgés de deux ans et demi et de vingt mois, de leur bonne ainsi que de deux autres servantes de la maison.

Alertés par le tumulte tous se réfugient, effrayés, dans la nursery, tandis que les assaillants, qui menacent d’enfoncer la porte, continuent de lancer des projectiles sur les fenêtres et la façade de la maison.

Puis, un long silence se fait. Tandis que Victor Hugo et son entourage commencent à regagner leurs chambres, pensant que les agresseurs ont pris la fuite, un nouvel assaut se fait brutalement entendre.

Les menaces de mort et les jets de projectiles redoublent de vigueur.

« Les cris : “À mort ! étaient plus furieux que jamais.

De l’étage supérieur on regarda dans la place et l’on vit une quinzaine d’hommes, vingt tout au plus, dont quelques-uns portaient des seaux probablement remplis de pierres. La pluie de pierres sur la façade de la maison ne discontinuait plus. Nul moyen de rester dans la chambre.

Des coups furieux retentissaient contre la porte. Il est probable qu’un essai fut tenté pour arracher la grille de fer du soupirail qui est au-dessus de la porte. Un pavé lancé contre cette grille ne réussit qu’à briser la vitre. »

Le sort semble alors s’acharner sur Victor Hugo, déjà anéanti par le récent deuil de son fils Charles. Pourtant, malgré les nombreux tourments qu’il traverse, le romancier n’a pas renoncé à ses engagements politiques et en paie les douloureuses conséquences.

Malgré sa lettre offrant l’accueil de sa maison aux réfugiés Communards, il n’est pas un fervent partisan de la Commune, dont il désapprouve les excès. Cependant, il s’insurge contre la répression du gouvernement de Versailles qui n’a su que répondre à la violence par la violence, en faisant notamment fusiller quelque 6 000 insurgés.

Mais dans la presse française, la présentation tragique de l’agression de Victor Hugo et de sa famille telle que narrée par son fils côtoie également des versions bien moins clémentes à l’égard du romancier. Par exemple, le journal conservateur et bonapartiste Le Gaulois, se fend d’un article railleur, soulignant le ridicule dans lequel vient d'être plongé l’ancien exilé :

« Victor Hugo, certes, n’était point réputé pour son bon sens, et jamais personne ne s’est avisé de dire que cet homme de génie fut un esprit bien équilibré.

Mais encore ne s’était-il jamais emporté à cet accès de sottise et de fureur dont il vient aujourd’hui de donner une preuve si étrange. »

Avant de qualifier de « grotesque » l’intervention de Hugo visant à inviter à son domicile les Communards, dont les agissements viennent de faire trembler la France :

« Victor Hugo se croit sublime ; il n’est que grotesque. Il l’est quand il donne son adresse en plein journal, et qu’il offre un asile aux polissons qui ont rêvé d’incendier Notre-Dame. »

Le Constitutionnel lui-même, une colonne après avoir rapporté les propos de François-Victor Hugo, s’amuse du burlesque de la situation, qualifiant la scène qui s’est déroulée sur le seuil de la maison Hugo de « sérénade » et atténuant considérablement la violence des faits :

« Ce que M. François-Victor Hugo ne raconte pas, c’est que la manifestation qui a commencé avec quarante individus a fini par grossir et se composer de six cents personnes.

Rien n’était plus dramatique que cette sérénade où le burlesque seul a joué un rôle. La police laissait faire et riait elle-même.

Jamais on n’a eu l’intention d’attenter à la vie de la famille Hugo.

C’est une simple protestation que le peuple belge a voulu faire à celui qui prétendait lui faire un grand honneur en étant son hôte. »

À la suite de l’incident, une enquête fut ouverte auprès des autorités belges. Mais le gouvernement, considérant la lettre de Victor Hugo comme compromettante pour les « intérêts du pays », ordonna son expulsion immédiate de Belgique.

Le 1er juin 1871, Victor Hugo se voyait contraint de quitter la Belgique pour le Grand-Duché du Luxembourg.

Il reviendra en France à la fin de l’année 1871, où il se portera candidat républicain à l’élection complémentaire du mois de janvier 1872.