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RetroNews | la Revue n°3
Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
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En février 1937, l'écrivain de polars Georges Simenon embarque les lecteurs de Paris-Soir pour une série de reportages aux côtés de la police parisienne. Dix articles jalonnés de drames humains et de crimes sordides.
Le 6 février 1937, le journal à grand tirage Paris-Soir annonce en fanfare le nouveau reportage de Georges Simenon, écrivain et journaliste prolifique. Découpée en dix articles, cette grande enquête s'intitule « Les Nouveaux mystères de Paris », en hommage aux célèbres Mystères de Paris d'Eugène Sue.
L'inventeur du commissaire Maigret y décrit sa longue plongée dans les bas-fonds de la capitale, aux côtés de la police. Comme l'annonce – non sans un certain sensationnalisme – le quotidien, Simenon va étudier « comment le crime prend, de quartier en quartier, à Paris, un visage différent et comment avec le même courage, avec des méthodes semblables il est partout poursuivi et le plus souvent puni ».
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RetroNews | la Revue n°3
Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
Le 7, Simenon raconte sa journée dans le poste de police du 18e arrondissement, où la police veille sur « un vaste domaine qui va de la place Clichy à Barbès, à la Chapelle et à Saint-Ouen, englobant le marché aux puces et la plus lépreuse des zones ». La Zone : cette bande limitrophe à la périphérie de Paris, où s'entassent dans un dénuement total des milliers de personnes, les « zoniers ».
« Des crimes ? Le XVIIIe bat tous les records : 9 homicides volontaires pendant l'année 1935, un huitième de la criminalité de Paris. Vous pensez peut-être aux mauvais garçons de la place Blanche ou de la place Pigalle, aux pâles voyous de la Chapelle et de Barbès, aux “durs” qui s'appellent eux-mêmes des “terreurs” ?
Si vous disiez cela au brigadier, il vous regarderait avec un drôle de sourire [...]. Ces gens-là règlent leurs comptes entre eux et c'est un accident si on en entend parler. Non ! Les appels vont venir cette nuit, un samedi, jour de paie, de tout là-haut, de la zone [...].
Ce sont des Portugais, des Arabes, des romanichels qui se sont battus pour une raison quelconque, une raison à eux, question d'argent ou question de femmes. Coups de couteau. Quand le car de Police-Secours arrive sur les lieux, dans des ruelles sans pavés, où errent des chiens à demi sauvages, les agents ne peuvent que ramasser la victime, car le vide s'est fait autour d'elle. Voilà un Arabe qui se présente de lui-même, au milieu de la nuit :
– Je me disputais avec ma femme, déclare-t-il. Elle s'est tuée d'un coup de couteau au cœur.
Le car s'en va. La lampe s'allume, à la Préfecture. Dans une venelle, on s'arrête devant une bicoque tandis que des ombres s'enfuient. Près de la morte, qui est Française, on ne trouve que deux enfants de quatre et de six ans qui pleurent.
– C'est papa qui a tué maman. »
Le 8 février, l'écrivain-journaliste est dans le 20e arrondissement, près du cimetière du Père-Lachaise. La police est appelée : on la presse de se rendre jusqu'à un immeuble de la rue de Charonne, dans un des quartiers les populeux de la capitale. Simenon accompagne les agents.
« Soudain, l'odeur l'odeur de poudre, l'odeur de drame de sang, une odeur aussi reconnaissable que celle des clochards. Sur un palier, des gens aux yeux écarquillés, une femme qui crie et que son mari, en pyjama, essaie en vain de faire taire.
Le brigadier a l'habitude. Il écarte les curieux, pénètre dans un logement. Ses hommes questionnent les voisins d'étage.
– Qu'est-ce que c'est ?
La femme qui crie parvient à articuler :
– J'ai entendu des coups de feu, trois... Alors...
Le brigadier, plus pâle que les autres, se montre dans l'encadrement de la porte et grogne :
– Le docteur ?
– On est allé en chercher un.
Quelqu'un court, en effet, dans les rues, sonne à des maisons, en quête d'un médecin. Tandis qu'ici, dans une cuisine qui sert de chambre à coucher, trois petits enfants. Ils sont trois, deux dans un lit, le troisième, qui a sept ans, dans l'autre, trois petits enfants qui ont reçu chacun une balle dans la tête et qui sont morts ! […]
– La porte s'est ouverte. J'ai crié. Mme Vinaud était devant moi, en chemise, un rasoir à la main, la gorge ouverte. Elle est restée comme ça un long moment, à me regarder comme une folle. Puis elle est tombée à genoux.
Le médecin ne peut plus rien, ni pour elle, ni pour les petits. On attend le commissaire de police. On ferme la porte.
– Il y a huit mois que son mari l'a quittée pour une rouquine de l'avenue Gambetta. Elle allait encore avoir un enfant. Elle faisait des ménages dans le quartier. L'aîné allait à l'école. »
Le 9, Simenon narre sa visite du « quartier des suicidés » : Passy, dans le très chic 16e arrondissement. Il livre une statistique : un ou deux suicides par jour dans ce seul district de Paris. « Véronal, souvent. Personne ne se jette par la fenêtre, ni ne se tranche la gorge à sauvages coups de rasoir. Encore moins se pend-on à une corde rêche qui vous fait sortir la langue de la bouche ! », note-t-il.
Le 10, il enchaîne avec le quartier Montparnasse, où il suit la police sur les lieux de l'étranglement d'une femme par sa sœur, afin, dit-elle, de « sauver son âme ». Le 11, il s'intéresse à la « cohorte des disparus », ces personnes évanouies dans la nature et que la police recherche – parmi elles, beaucoup d'enfants, en particulier les jours de fête.
« Je lève des yeux ahuris vers le chef de service.
– Regardez la date ! me dit-il en souriant.
– Quatorze juillet. Eh bien !
– C'est la même chose chaque fois qu'il y a un grand cortège, une fête populaire, des milliers de curieux rassemblés sur un point quelconque de Paris. Dans la foule, les enfants se perdent, surtout ceux de quatre à dix ans. Les petits Français arrivent encore à donner leur nom, souvent leur adresse à un agent ou à quelque passant. Mais il y a des miniers d'enfants étrangers qui ne comprennent même pas notre langue. »
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Le 12 février, il assiste à l'interpellation d'un adolescent qui a tenté de braquer une commerçante. Celle-ci s'est révélée plus coriace que prévue et est parvenue à l'assommer.
« Le brigadier n'a pas besoin d'explications. Il a compris du premier coup d’œil et il vide d'abord les poches de son client, essaie le fil du couteau sur son pouce.
– Et t'appelles ça un lingue, toi ?
Dédaigneux, il le jette sur le comptoir.
– Ton premier coup ?
– Je ne répondrai qu'en présence d'un avocat.
– Pas eu trop peur, la vieille ?
– Pas trop, fait-elle en buvant un petit verre de rhum. Je voyais bien que c'était un débutant. Et je savais que mon mari entendrait la sonnerie. Quand même ! Justement, avec ces jeunes-là, on ne sait pas. Ils sont si émus qu'ils seraient capables de tirer.
– Toi, enlève tes bretelles.
– Mais...
– Enlève tes bretelles. Comme ça, on est sûr que tu ne te sauveras pas.
Un agent aussi moustachu que le bougnat contemple le gamin de haut en bas, lui prend le nez entre deux doigts pour lui relever la tête.
– ...il en sortirait du lait... grogne-t-il. »
Le 13, Simenon se penche sur le cas de « ceux qui ne veulent pas mourir seuls », ces amants qui se donnent la mort à deux. Le 14, il est dans le 1er arrondissement, dans le quartier des Halles : il note que, de façon surprenante, c'est « le seul de Paris où on ne compte pas un seul meurtre par an ». Le 16 enfin, il conclut :
« L'époque des gangsters est moins dangereuse que celle des apaches […].
Je possède mes statistiques sur le bout des doigts : neuf crimes par an qui ont l'intérêt pour mobile. Et encore, la plupart sont commis par des amateurs : un jeune homme qui étrangle sa vieille maîtresse dans sa baignoire pour lui voler des bijoux ; un courtier aux abois qui assomme un encaisseur.
Les professionnels ne se tuent qu'entre eux, pour des raisons qui les regardent. »
Avant de regagner La Rochelle, Simenon restera jusqu'en 1938 en région parisienne, dans son appartement du boulevard Richard-Wallace à Puteaux. En parallèle de ses romans, il écrira notamment pour les parutions Voilà et Le Courrier royal.
Écrivain extrêmement productif, il publiera la même année 1937 cinq romans : L'Assassin, Le Testament Donadieu, Le Blanc à lunettes, Monsieur la souris et Faubourg.
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Pour en savoir plus :
Georges Simenon, Romans, 2 tomes, Bibliothèque de la Pléiade, 2003
Jean-Baptiste Baronian, Le Paris de Simenon, Alexandrines Éditions, 2016
Pierre Assouline, Simenon, Folio, 1998