Écho de presse

Les crimes d’Henri Vidal, l’aliéné « tueur de femmes »

le 04/03/2019 par Priscille Lamure
le 08/02/2019 par Priscille Lamure - modifié le 04/03/2019
Portrait de l'assassin Henri Vidal sur le banc des accusés dans Le Matin, 5 novembre 1902 - source : RetroNews-BnF
Portrait de l'assassin Henri Vidal sur le banc des accusés dans Le Matin, 5 novembre 1902 - source : RetroNews-BnF

Début 1902, la France découvre ahurie le personnage d’Henri Vidal, bientôt baptisé le « tueur de femmes » en rapport avec la nature de ses crimes et sa haine inexplicable à l’égard de la gent féminine.

Au mois de décembre 1901, une série de crimes sanglants perpétrés à l’encontre de jeunes femmes dans le sud de la France met le pays en émoi.

Les premières victimes sont deux prostituées, poignardées sans motif apparent dans le centre-ville de Hyères, et grièvement blessées. Trois jours plus tard, une autre fille publique est victime d’une agression au couteau à Tamaris près de Toulon ; cette fois-ci, elle sera tuée. Puis, c’est une jeune voyageuse d’un train de la ligne reliant Nice à Monte-Carlo qui est sauvagement égorgée dans son compartiment avant d’être jetée sur les voies.

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Le 1er janvier 1902, Le Petit Marseillais annonce l’arrestation de l’assassin présumé :

« L'auteur du crime d’Èze est un individu qui a été trouvé, dimanche, sans billet à la gare de Nice et qui avait été gardé comme suspect à cause des écorchures qu’il avait aux mains et des taches de sang découvertes sur les effets renfermés dans sa valise.

Il se nomme Henri Vidal, âgé de 34 ans, né à Vals (Ardèche). [...]

Vidal avait été transféré au violon de la mairie. Le gardien de la paix Donsimont, de service, a été appelé par Vidal qui lui dit :

“Je suis tout à fait désespéré : rendez-moi le service de me donner un revolver ; je veux me tuer.” »

Henri Vidal, jeune hôtelier de la ville d’Hyères, semble désemparé et ne cherche pas longtemps à dissimuler les méfaits dont il est accusé. Devant le juge d’instruction, il avoue avoir commis deux assassinats, ceux de Gertrude Hirsbrunner et d’Antonia van Brusselin, et avoir attenté à la vie de deux autres femmes, Louise Guinard et Joséphine Moreno.

Tandis que les audiences se succèdent et que les témoins défilent à la barre du tribunal tout au long de l’année 1902, l’histoire de celui que tous les journaux appellent désormais le « tueur de femmes » continue de défrayer la chronique. Son portrait apparaît en Une de nombreux quotidiens populaires, tandis que plusieurs personnes ayant été en contact avec lui dans le passé se mettent à écrire sur sa vie et son histoire.

Incité par les criminologues de l’époque qui étudient son cas, Henri Vidal commence lui-même à rédiger son autobiographie depuis sa cellule. Dans ses Mémoires, Henri Vidal raconte avoir beaucoup souffert à cause des femmes, à commencer par celles de sa famille qui seraient, selon lui, la cause de toutes ses misères. C’est ainsi que le criminel se construit lui-même, à travers les aveux qu’il couche sur le papier, la figure d’un meurtrier    modérément aliéné, sensible à sa façon et atrocement misogyne.

Lors de son interrogatoire, rapporté par le journal Le Siècle, Henri Vidal affirme à plusieurs reprises avoir agi avec l’unique intention de tuer des femmes :

« À propos du crime d’Èze, le président demandant dans quel état d’esprit Vidal vint en gare de Nice, le 22 décembre, celui-ci répond cyniquement :

– Je suis venu dans l’intention de tuer une femme.

Puis il pleure abondamment.

Sur le meurtre de la fille Busselin, à Hyères, même moyen de défense ; on arrive à l’assassinat de la jeune Suissesse, Gertrude Hirsbrunner.

D. – Qu’est-ce que vous étiez censé faire à Nice 

R. – Le commerce de fleurs.

Le président. – La fille Pellegrini constata la présence d’un énorme couteau sous les fleurs, chez vous. Dans quel état d’esprit êtes-vous venu à la gare dans la soirée du 21 décembre  ?

R. – Je venais pour tuer une femme. »

Face à ces affirmations, plusieurs expertises médicales et psychiatriques sont réalisées afin de juger de la responsabilité d’Henri Vidal face à ses crimes. Après plusieurs mois d’observations du prisonnier, La Presse fait part des conclusions des scientifiques :

« À la demande de ses défenseurs, l’accusé a été l’objet d’un examen médical de la part de MM. Lacassagne, professeur de médecine légale à la Faculté de Lyon, Boyer, agrégé de la même Faculté, et Fleury-Rabatel, directeur d’une maison de santé à Lyon.

Leurs conclusions ont été que Vidal ne présente aucun signe de folie ou d’épilepsie ;

que l’on constate chez lui certains signes de dégénérescence ;

que les crimes qui lui sont reprochés ne présentent pas le caractère d’actes incohérents, délirants ou impulsifs ;

qu’en conséquence il doit être déclaré responsable avec une légère atténuation. »

Le procureur de la République, tenant compte des observations de la part des médecins et de la gravité des crimes reprochés à Henri Vidal, déclare que le tueur a agi en pleine conscience de ses actes et qu’il a donc mûrement prémédité ses crimes.

« Le procureur s’est, en effet, attaché à démontrer la logique parfaite et la prudence supérieure qui avait présidé à chacun des crimes commis.

Il a montré Vidal les préparant avec une sagacité d’animal pervers et astucieux, avec les précautions basses et perfides d’un fauve. »

Ainsi, le 5 novembre 1902, onze mois après les faits, la Cour d’assises des Alpes-Maritimes condamne Henri Vidal à la peine capitale : l’exécution sur la guillotine.

Mais cette décision, accueillie dans la salle d’audience par des huées et des sifflets, soulève l’indignation d’une partie de l’opinion publique – et notamment de la gauche. Le journal socialiste La Petite République, qui considère Henri Vidal comme un fou irresponsable et donc dénué de libre arbitre, témoigne par exemple d’une forme d’empathie à l’égard du condamné à mort :

« Il est constitué tout de travers. Il offre les caractères des dégénérés. À quoi bon d’ailleurs recourir à ces démonstrations pathologiques.

Les crimes de Vidal, leur persistance et leur inutilité pratique prouvent assez que leur auteur obéissait plutôt à une impulsion maladive qu’à l’appât du gain. Il suffit aussi de le suivre dans sa sinistre carrière, depuis son premier meurtre jusqu’à sa comparution en cour d’assises, pour constater son manque absolu de libre arbitre.

Comment le procureur de Nice ose-t-il demander la tête de ce fou  [...] À ce compte-là il faut revenir aux siècles où l’on enchaînait les déments, où on les exorcisait, où on les brûlait quand le Malin refusait de les quitter.

Pour tenir de tels propos, le procureur ne peut avoir pour excuse que d’être aussi malade que son patient. Quand il aura jeté cette tête sans cervelle aux pieds de son Idole sanguinaire, croit-il vraiment qu’il aura sauvé la société ? Il l’aura faite déchoir un peu plus, voilà tout. »

Devant ces protestations, Henri Vidal ne sera pas exécuté. En effet, avant même que la sentence n’ait pu être appliquée, le prisonnier sera gracié sur une décision du président de la République Émile Loubet. Sa peine sera  commuée en une condamnation aux travaux forcés à perpétuité.

Il sera donc envoyé à Cayenne en Guyane, au pénitencier de Saint-Laurent-du-Maroni, pour y purger sa peine. Il n’y survivra pas. Il mourra quatre ans plus tard, au mois de juillet 1906, à l’âge de 39 ans.

Pour en savoir plus :

Philippe Artières, Dominique Kalifa, Vidal, le tueur de femmes : une biographie sociale, Verdier, 2017