Écho de presse

La première exécution sur une chaise électrique

le 02/09/2020 par Michèle Pedinielli
le 05/08/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 02/09/2020
Un homme assis sur une chaise électrique, 1908, source : New York Public Library-WikiCommons
En 1890, un nouveau mode d’exécution est choisi pour remplacer la pendaison, jugée inhumaine : la chaise électrique. Le premier condamné à subir cette peine s’appelle William Kemmler.

Le 6 août 1890 à 4h du matin, dans la prison de New York, on réveille William Kemmler qui s’habille et déjeune tranquillement. Lorsque le médecin de la prison et l’aumônier entrent dans sa cellule, il leur dit : « Vous venez me faire vos adieux. Je suis prêt, et j’espère que Dieu me recevra auprès de lui. »

Condamné à mort pour le meurtre de sa compagne, William Kemmler, 39 ans, est le premier homme à subir la peine capitale par électrocution.

Cette nouvelle méthode de mise à mort a été votée – non sans débats – le 1er janvier 1889 par la législature de New York, après que des spécialistes ont démontré le caractère inhumain de la pendaison – où certains exécutés agonisaient pendant une trentaine de minutes.

La commission parlementaire chargée d’examiner par quel mode d’exécution on pourrait remplacer la pendaison s’était arrêtée à l’exécution par l’électricité. Mais les débats entre « spécialistes » ont été houleux.

D’un côté Harold Brown, l’inventeur de l’ « appareil », soutenu – entre autres – par l'inventeur Thomas Edison.

« L’électricien Harold Brown, l’inventeur de l’appareil qui devait servir à l’exécution, soutenait, avec Edison, le docteur F. Petersen et d’autres spécialistes l’infaillibilité du courant alternatif d’électricité, comme instrument de mort immédiate et sans douleur.

Et ils s’efforçaient de prouver leur dire, en faisant des expériences sur des chevaux, des veaux, des chiens dont la plupart succombaient, effectivement, à un choc de sept cent volts. »

De l’autre, des ingénieurs qui affirment que la méthode est trop aléatoire.

« Dans le camp opposé, d’éminents électriciens, le docteur Franklin Pope, John Noble, directeur de la Compagnie Westinghouse, le professeur Alexander Mac Adie soutenaient qu’on n’est jamais certain d'infliger la mort à un individu par un choc électrique d’une intensité déterminée, tout dépendant de la force de résistance de l’individu.

M. Mac Adie racontait de lui-même qu’il était monté sur le monument Washington pendant un terrible orage, qu’il avait emmagasiné de l’électricité jusqu’à concurrence de 3 000 volts, que le choc avait fait dresser ses cheveux et jaillir des étincelles de ses vêtements, mais qu’il était néanmoins resté absolument indemne. On citait de nombreux cas analogues. »

En outre, les compagnies qui approvisionnent en électricité semblent peu désireuses de fournir leurs générateurs (censés être inoffensifs) à des fins de mort.

Finalement, par une sorte d’ironie noire de l’histoire, ce sont des accidents du travail qui vont faire basculer les débats.

« Cependant, les partisans de l’électrocution ont fini par triompher, aidés du reste par la mort accidentelle de plusieurs ouvriers des compagnies d’éclairage, victimes d’un contact électrique dont les foudroyants effets fournissaient un argument nouveau en faveur de l’électrocution. »

 

À 6h38, le 6 aout 1890, on emmène William Kemmler dans la chambre d’exécution. Le New York Herald détaille la procédure, glaçante, traduite dans L’Univers illustré.

« Kemmler tourna le dos au jury, ôta son habit et le remit au gardien. Son pantalon avait été coupé dans le bas du dos, pour laisser voir la base de l'épine dorsale. Alors Kemmler marcha dans la direction de la porte et commença à déboutonner son gilet. Le gardien Durston lui dit qu'il n'était pas nécessaire de quitter son gilet. Kemmler se reboutonna tranquillement.
“Ne vous troublez pas”, dit le gardien à Kemmler, qui était très calme d'ailleurs, le plus calme de tous les assistants.
Kemmler s'assit alors dans la chaise électrique aussi tranquillement que s'il se fût agi de s'asseoir pour dîner.
On commença aussitôt à ajuster les courroies autour du corps de Kemmler, qui offrait ses bras lui-même.
Quand les courroies furent arrangées, Kemmler dit
 :
“Gardien, prenez votre temps. Ne vous pressez pas. Assurez-vous que tout est bien prêt.”
Alors le gardien mit sa main sur la tête de Kemmler et la fixa contre la bande de cuivre qui garnissait le dos de la chaise. Kemmler dit à haute voix
 :
“C’est bien
 ; je vous souhaite à tous bonne chance.”
Le sheriff Violing abaissa le casque de cuivre qui pressa l'éponge contre le sommet de la tête.
“Je vous assure, dit Kemmler, que vous pourriez presser davantage.”
On fit ce qu'il disait.
Le gardien Durston prit les courroies qui devaient fixer la tête de Kemmler. Pendant l'opération, le docteur Spitzka dit
 :
“Dieu vous bénisse, Kemmler.
– Merci, répondit le condamné.”
 »

La suite ressemble à un film d’horreur. Lorsque l’« électricien d’État » (autrement dit, le bourreau) fait son office, les reporters sur place constatent les premiers effets.

« Le corps du condamné sursauta violemment ; les membres se contractèrent et la secousse amena une contraction effroyable du visage. Le condamné poussa un profond soupir, puis le corps se raidit.

Après que le courant électrique eut duré une demi-minute à peu près, il fut arrêté, et les médecins s'approchèrent du supplicié.

Après un examen sommaire, trois médecins déclarèrent que Kemmler était mort, mais un quatrième, le docteur Busch, fit observer qu'un souffle semblait sortir encore de la bouche...

À peine avait-il fait cette observation que la poitrine de Kemmler se souleva convulsivement, et l'on vit de nouveau se produire des contorsions horribles du corps et des mouvements saccadés de la mâchoire. Kemmler n'était pas mort.

Tous les assistants étaient pénétrés d'horreur. L'un des journalistes présents s’évanouit. »

William Kemmler n’est pas mort sur le coup. Le docteur Busch intime que l’on remette le courant.

« Mais le courant ne put de suite être rétabli. On vit alors les choses les plus horribles. L'écume coulait des lèvres de Kemmler. Un souffle semblait sortir de la bouche ; la poitrine se soulevait. C'étaient des contorsions horribles.

Quand le courant fut rétabli, on vit s'élever du corps une vapeur blanche avec une odeur épouvantable. Le corps brûlait. On cria qu'il fallait interrompre le courant.

Le courant fut interrompu, Kemmler était bien mort. »

Il s’est écoulé treize minutes entre le moment où Kemmler s’est assis sur la chaise et le moment où il a enfin été déclaré mort. Selon les médecins qui l’ont autopsié, la première secousse l’avait rendu inconscient. Mais cette précision ne calme pas les journalistes écœurés.

À New York comme à Paris, on parle d’« atrocité », de « boucherie », d’une des « manifestations les plus honteuses pour la civilisation ».

« Personne n'a pu lire sans frémir les épouvantables détails de cette première exécution par l'électricité, dont nous avons donné hier un compte-rendu sommaire.

Les sinistres inventeurs de cette infernale machine qui, malgré les nombreux avertissements des savants les plus autorisés, sont parvenus, à force d'entêtement, à imposer leur détestable découverte au gouvernement des États-Unis, guidés par un intérêt que l'on n'ose qualifier, mériteraient qu'on les fit passer à leur tour par les tortures de ce malheureux Kemmler.

Les folles excentricités de ces ingénieurs américains qui, jusqu'ici, ont fait sourire, devaient finir par les rendre ridicules. On ne fait pas des expériences sur la vie d'un homme, quand bien même cet homme est un condamné à mort. Les détails de cette monstrueuse exécution sont d'ailleurs, par eux-mêmes, assez dramatiques pour se passer de commentaires. »

 

Le Petit Parisien supplément littéraire illustré retranscrit en dessin l'éxécution dont les préparatifs, sans avoir « le caractère effrayant de ceux qui lieu ont pour l'éxécution par la guillotine », connaissent toutefois une suite « cent fois plus épouvantable ».

Les articles finissent tous par le même constat : cette « monstruosité » ne doit jamais être renouvelée et la loi de l’exécution par l’électricité doit être abrogée.

Le rédacteur de La Presse souhaite, lui, « que la peine de mort elle-même fût partout abolie ».

La chaise électrique deviendra le moyen d’exécution le plus employé aux États-Unis jusqu’à ce qu’elle soit peu à peu remplacée par l’injection létale, la plupart des États « laissant le choix » de leur mort aux condamnés : la chaise ou la piqûre.

Aux États-Unis, Robert Gleason est le dernier condamné à mort ayant péri sur la chaise ; il fut électrocuté le 17 janvier 2013.

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